Insaf Rezagui réalise son doctorat en droit international public à l’Université Paris Cité.
Le 22 mai dernier, l’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont annoncé leur intention de reconnaître l’Etat de Palestine. La reconnaissance par ces trois pays est officiellement intervenue le 28 mai. Le 4 juin, la Slovénie a également reconnu la Palestine. Avant eux, la Jamaïque, la Barbade et Trinité-et-Tobago, trois Etats membres de la Communauté des Caraïbes, venaient de le faire au cours des semaines précédentes. Ce sont désormais 147 Etats des 193 membres des Nations unies qui reconnaissent la Palestine.
Cette vague de reconnaissances intervient alors que la guerre menée par l’armée israélienne dans la bande de Gaza a fait, selon les chiffres donnés par le ministère de la Santé du Hamas et jugés crédibles par les agences de l’ONU, plus de 38.000 morts et plus de 12.000 disparus. Avec ces reconnaissances, les Etats européens et caribéens à la manœuvre visent plusieurs objectifs: dénoncer la poursuite de la guerre; isoler davantage le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, déjà acculé par les processus judiciaires internationaux en cours devant la Cour internationale de Justice et la Cour pénale internationale; et rappeler leur attachement à la solution à deux Etats, israélien et palestinien.
En droit international, un Etat n’a pas besoin d’être reconnu pour exister. Il faut opérer une distinction entre la reconnaissance d’Etat et l’existence d’Etat. La Palestine peut exister en tant qu’Etat sans être reconnue et vice versa. L’article 1er de la Convention de Montevideo de 1933 (signée par de nombreux Etats d’Amérique, dont les Etats-Unis, l’article 1er de celle-ci est encore applicable aujourd’hui, car la définition qu’il donne de l’Etat est considérée comme du droit coutumier, applicable à tous) fixe les critères à remplir pour être un Etat: «L’Etat comme personne de droit international doit réunir les conditions suivantes: Population permanente; territoire déterminé; gouvernement; capacité d’entrer en relations avec les autres Etats.» Cette définition a été reprise par la jurisprudence internationale, notamment par la Commission d’arbitrage pour l’ex-Yougoslavie dans son avis n°1 du 29 novembre 1991. La Palestine, qui a proclamé son indépendance en novembre 1988, a une population permanente (le peuple palestinien). Elle dispose d’un territoire déterminé, qui est celui d’avant la guerre des Six-Jours en 1967, qui comprend la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza, territoires occupés depuis par Israël. La Palestine dispose d’un gouvernement: l’Autorité palestinienne, qui représente officiellement le peuple palestinien sur la scène internationale. Elle entretient des relations avec les 146 Etats qui ont reconnu la Palestine, mais aussi avec ceux qui ne la reconnaissent pas. Au-delà de ces critères, il faut également que le gouvernement de l’entité qui revendique le statut d’Etat ait la capacité de contrôler et d’administrer son territoire. Il s’agit de l’effectivité. C’est sur ce point que des débats juridiques interviennent.
Aujourd’hui, Israël occupe militairement l’intégralité du territoire palestinien (la bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est), comme le confirment la Cour internationale de Justice, l’Assemblée générale des Nations unies, le Conseil de sécurité de l’ONU et la Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale. Cette occupation empêche l’Autorité palestinienne d’exercer ses prérogatives gouvernementales en Palestine, y compris en zone A qui, depuis les Accords d’Oslo, devait pourtant être sous administration civile et militaire palestinienne. Ce contrôle de l’armée israélienne serait devenu permanent, car il perdure et s’accentue depuis 1967. Or la permanence d’une occupation militaire, qui s’apparente à une annexion de facto, est illicite en droit international.
Les conséquences
En 1936, dans sa résolution «La reconnaissance des nouveaux Etats et des nouveaux gouvernements», l’Institut de droit international affirme que «la reconnaissance d’un Etat nouveau est l’acte libre par lequel un ou plusieurs Etats constatent l’existence sur un territoire déterminé d’une société humaine politiquement organisée, indépendante de tout autre Etat existant, capable d’observer les prescriptions du droit international et manifestent en conséquence leur volonté de la considérer comme membre de la Communauté internationale».
La reconnaissance d’Etat a une valeur déclarative, et non constitutive. Celle-ci se matérialise par l’adoption d’un acte (décret, résolution parlementaire…) par un Etat qui constate que les critères de l’existence d’Etat sont remplis. Par cet acte, l’Etat qui reconnaît souhaite alors engager une relation juridique bilatérale avec l’Etat reconnu. Cela se traduit par exemple par l’ouverture d’ambassades dans les deux Etats qui entament cette relation. Ainsi, la Palestine devrait prochainement installer des ambassades à Madrid, Oslo, Ljubljana et Dublin. Cependant, Israël entend bien empêcher ce processus et a déjà adopté des mesures de représailles. Il a interdit à l’Espagne de délivrer ses services consulaires aux Palestiniens depuis le 1ᵉʳ juin.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation