Lancée quelques mois avant la reprise de Kaboul par les talibans, cette station radio par et pour les femmes place l'éducation au cœur de ses programmes.
Sous le contrôle des talibans, le peuple afghan est devenu l’un des plus défavorisés dans le monde. La diffusion d'informations, l'éducation et les débats y sont parmi les activités les plus risquées, en particulier pour les femmes, qui sont désormais interdites des milieux éducatifs et professionnels.
En dépit de ces mesures strictes, certains militants des droits des femmes poursuivent leur combat. Hamida Aman en fait partie. Elle a fondé la seule station de radio afghane par et pour les femmes.Toutes les personnes qui y travaillent sont des femmes, et les contenus qui y sont proposés concernent et portent sur les femmes, avec l’objectif de leur redonner espoir.
Radio Begum a été lancée en mars 2021 par la Begum Organization for Women (l’Organisation Begum pour les femmes, «BOW» en bref), une association pour la défense des droits des femmes également fondée par Aman. Après avoir été contrainte de se réfugier en Europe alors qu'elle n'avait que six ans, Hamida Aman, aujourd'hui âgée de 50 ans, a fait ses études en Suisse, où elle s'est spécialisée dans l'histoire et le journalisme. Elle a travaillé en tant que journaliste dans la presse suisse. Après les événements du 11 septembre 2001, elle est retournée en Afghanistan avant de finalement devoir repartir et s’installer en France.
■ Comme des reines
C’est vers la fin 2020 qu’elle a l'idée de fonder BOW et, dans la foulée, Radio Begum. Au bout de deux décennies, les négociations de Doha entre le gouvernement précédent et les talibans sont alors dans l'impasse. Dans le passé lointain de l’Afghanistan, «Begum» était un titre aristocratique utilisé à la cour royale pour désigner les femmes de haut rang. Aman choisit ce nom pour l'organisation et la radio avec l’intention de rendre aux femmes leur dignité et de leur faire savoir qu'elles méritent d'être considérées comme des reines.
Aujourd’hui, Radio Begum émet grâce à 16 antennes de diffusion dans 19 provinces afghanes, principalement dans des régions reculées telles que Badakhshan, Ghor et Nimruz. Cette couverture est essentielle, puisque les médias ont rarement accès à ces provinces à cause des restrictions imposées par les talibans dans le but d'isoler les femmes afghanes.
■ L’éducation au cœur du projet
Aman précise que Radio Begum, qui compte une trentaine d'employées, permet aux femmes de dialoguer et d'interagir, afin qu'elles ne se sentent pas seules. L’équipe fait de son mieux pour les informer sur leurs droits en utilisant une approche aussi délicate que possible, de façon à éviter d'éventuelles répercussions de la part des responsables talibans susceptibles d'être à l'écoute. Cette approche est d'autant plus importante lorsqu’il s’agit d’émissions dans lesquelles les animatrices présentent une interprétation féminine des textes religieux à un auditoire féminin.
La priorité reste toutefois l'éducation. Chaque jour, six heures sont consacrées à l'enseignement du persan et du pachto aux élèves, de la cinquième à la terminale. Les autres sujets abordés sont la santé, la nutrition, l'éducation des enfants et divers conseils à l'intention des femmes. Radio Begum permet également à des femmes médecins de répondre aux questions des auditrices, en direct. Tous les programmes proposés ont pour but de soutenir et de renforcer la voix des femmes, tout en défendant leurs droits. Les Afghanes sont invitées à raconter leur histoire, à se divertir et à prendre confiance en elles-mêmes. Mais la radio vise aussi à offrir des contenus éducatifs pour les filles et les aider à acquérir des compétences qui leur assureront un meilleur avenir. Le but est de donner de la force et de l’espoir aux filles et aux femmes afghanes et leur faire savoir qu'elles ne sont pas seules; elles sont nombreuses à faire face aux mêmes défis.
Hamida Aman est satisfaite des performances de Radio Begum. «Au vu de la situation actuelle des femmes afghanes et des restrictions imposées par les autorités pour limiter leurs capacités opérationnelles -telles que l'absence d'interaction entre les femmes et les hommes, l'interdiction pour les femmes d'assister aux conférences de presse gouvernementales, l'interdiction pour les femmes de voyager seules et bien d'autres encore – on peut dire que Begum fait un excellent travail».
L'évolution rapide de la situation en Afghanistan a propulsé Radio Begum sur le devant de la scène et en a fait le média le plus recherché par les femmes. Aman déclare qu'à l'origine, Radio Begum répondait exclusivement aux besoins spécifiques des femmes, mais après la prise de pouvoir par les talibans, elle est devenue la «voix des femmes afghanes». Des journalistes internationaux ont visité les studios de Radio Begum, mais pour des raisons de sécurité, ont renoncé à mener des interviews.
Une initiative risquée
La création d'une telle station de radio en Afghanistan est une initiative risquée. Aman admet qu'elle est confrontée à des défis quotidiens, ses programmes faisant l'objet d'une surveillance similaire à celle des réseaux sociaux. Les talibans la convoquent régulièrement pour qu'elle clarifie les contenus des programmes de la radio. Bien qu'elle reconnaisse que les talibans réagissent parfois durement, elle affirme que jusqu'à présent, ils sont toujours parvenus à trouver un accord par le dialogue, même s’il y a peu de marge de manœuvre.
Aman espère que Radio Begum pourra continuer à diffuser ses programmes, malgré les obstacles rencontrés auprès des talibans. Elle est fière de son équipe, et des efforts qu'elle déploie notamment pour offrir aux femmes l'éducation dont elles ont besoin. Radio Begum est devenue et reste la voix des femmes afghanes, à une époque où l'éducation des filles est interdite au-delà de la sixième, et où l'emploi des femmes, leur droit de s'habiller librement, leur droit de se réunir et leur participation à des activités sociales sont prohibés.
L'érosion drastique des droits des femmes en Afghanistan se poursuit
«Les femmes afghanes craignent d'être arrêtées, harcelées et punies à chaque fois qu'un nouveau décret taliban est annoncé», selon un nouveau rapport multi-agences des Nations Unies publié en février 2024 et basé sur une enquête approfondie auprès des femmes à travers le pays.
L'application de la loi par la police a augmenté le harcèlement dans les espaces publics et a encore limité la capacité des femmes à quitter leur domicile, selon les témoignages de 745 femmes afghanes ayant participé à la dernière enquête d'ONU Femmes, de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et de la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA).
Ces informations font suite à des rapports récents sur l'application arbitraire et sévère du décret sur le hijab, en particulier à Kaboul, ont indiqué les agences- qui ont commencé à publier des consultations trimestrielles avec diverses femmes afghanes un an après la prise du pouvoir par les Talibans en août 2021.
Depuis lors, les autorités de facto ont introduit plus de 50 décrets qui restreignent directement les droits et la dignité des femmes, indique le rapport de vendredi. Les consultations ont eu lieu entre le 27 janvier et le 8 février. ONU Femmes, l'OIM et la Manua ont recueilli des avis en ligne et en personne - là où il était possible de le faire en toute sécurité - et par le biais de sessions de groupe et de télé-sondages individuels. Les agences ont pu joindre des femmes dans les 34 provinces de l'Afghanistan.
Les participantes ont été invitées à donner leur avis sur la période allant d'octobre à décembre 2023.
Les résultats montrent que les femmes craignent d'être arrêtées et de subir la stigmatisation et la honte à long terme associées à leur mise en garde à vue, indique le rapport. En outre, plus de la moitié des femmes (57%) ne se sentent pas en sécurité lorsqu'elles quittent la maison sans un mahram, un tuteur masculin. Les risques pour leur sécurité et leur niveau d'anxiété augmentent chaque fois qu'un nouveau décret les visant spécifiquement est annoncé.
Seulement 1% des femmes ont indiqué qu'elles avaient une «bonne» ou une «pleine» influence sur la prise de décision au niveau de la communauté, ce qui représente une baisse importante par rapport aux 17% enregistrés en janvier 2023.
Par Zolfa BEHNIA
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Cette publication fait partie du programme «Vers l'égalité», dirigé par Sparknews, une alliance collaborative de 16 médias internationaux mettant en lumière les défis et les solutions pour atteindre l'égalité des sexes.