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Les Libanaises brisent le «plafond de genre»

Par L'Economiste | Edition N°:6469 Le 08/03/2023 | Partager
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Portant des lunettes et des écouteurs, Hala coupe un morceau de bois dans l’atelierde Warsh(ée) (Ph. DR)

Les Libanaises se taillent de plus en plus leur place dans des domaines traditionnellement dominés par les hommes. Selon elles, le fait d’être une femme joue parfois même à leur avantage.

Chauque matin à 6h30, Na­sab, Mariam, Nada et Hala prennent le bus au départ de Tripoli, dans le nord du Li­ban. Elles parcourent 80 kilomètres pour suivre des cours de menuiserie à Sin El Fil, à la périphérie de Bey­routh.

Après avoir cherché en vain un emploi dans les domaines qu’elles convoitaient, ces quatre vingtenaires ont décidé, il y a un an, de tenter leur chance dans la menuiserie, une pro­fession traditionnellement réservée aux hommes. Elles suivent leur formation à Warsh(ée) («chantier», en français), une initiative lancée par l’architecte libanaise Anastasia Elrouss après l’explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020.

«Nous les accompagnons dans un métier qu’elles n’auraient jamais envisagé d’elles-mêmes», explique Elrouss. «Nous les rémunérons du­rant la formation pour les aider à subvenir à leurs besoins et pour mon­trer à leurs familles qu’elles peuvent gagner leur vie grâce à ce métier». D’après la Banque mondiale, la proportion de femmes actives au Liban était de 21% en 2021. À l’échelle internationale, cette propor­tion dépasse légèrement 50% pour les femmes, contre 80% pour les hommes.

Lutter contre les attentes de la société, au prix de quelques ajus­tements

«On s’est beaucoup moqué de nous lorsque nous avons commen­cé notre apprentissage, mais nous avons dépassé cette phase», raconte Hala, qui rêvait d’une carrière dans les forces de sécurité intérieure (FSI) avant de rejoindre Warsh(ée). «Les gens me demandaient souvent com­ment je pouvais porter du bois. Ce n’est pas si lourd que ça, et s’il y a une grosse pièce à transporter, nous la portons à plusieurs», explique-t-elle. 

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Nada, une diplômée en comptabi­lité, était au chômage avant de com­mencer sa formation en menuiserie. «Les gens autour de moi ont ri de mon choix au début», dit-elle. «Mais quand ils ont vu le résultat de mon travail, ils ont commencé à apprécier ma menuiserie». À Warsh(ée), l’atelier a été adapté à la petite taille de certaines des ap­prenties. L’enseignement est dispensé par des hommes, étant donné que la menuiserie a longtemps été une pro­fession majoritairement masculine au Liban; mais les formateurs apportent un soutien indéfectible aux jeunes femmes qu’ils encadrent. «Nos professeurs nous ont encoura­gées en tant que femmes à nous lancer dans la menuiserie. C’est un vrai mé­tier et nous pouvons en vivre», affirme Nasab, diplômée en sciences sociales, au chômage depuis des mois. Asmahan Zein, présidente de la Ligue libanaise pour les femmes dans les affaires (LLWB), a déclaré à L’Orient Today que «les femmes ont besoin que les hommes marchent à leurs côtés pour réussir». Et d’ajou­ter: «Nous ne pouvons pas valoriser les femmes dans le monde du travail si les hommes ne les apprécient pas à leur juste valeur et ne les soutiennent pas».

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De gauche à droite, Hala, Nada et Nasab exposent fièrement certaines de leurs créations

Les fruits d’un travail acharné et d’une politique de discrimination positive

Contre toute attente, certaines femmes ont rencontré moins de diffi­cultés que prévu. Comme l’explique Asmahan Zein, «le milieu socioéco­nomique des femmes détermine si elles seront les bienvenues dans un secteur à prédominance masculine». Rosabelle Chedid est cofondatrice et directrice des opérations de C Green, une startup libanaise qui transforme la boue d’épuration en engrais naturels.  Elle affirme que «les portes se sont ouvertes pour les femmes dans tous les programmes». Elle attribue, en partie, cette évolution au fait que l’égalité des sexes est l’un des objectifs de dévelop­pement durable des Nations unies. Elle a remporté le concours Femme francophone entrepreneure (FFE) en 2019 grâce à sa startup. Cette com­pétition est destinée à encourager les femmes dans l’entrepreneuriat.

«Je ne crois pas au hasard, je crois au travail acharné, et à l’aide que nous recevons des personnes que nous rencontrons en cours de route», assure-t-elle. Elle affirme n’avoir subi aucune forme de discrimination ou de sexisme en tant que femme tra­vaillant dans le domaine des sciences. Malak Jomaa, une dé­veloppeuse web, raconte une histoire similaire. Elle a suivi une for­mation de codage à SE Factory, une organisation basée à Beyrouth qui forme des programmeurs en herbe. «Je crois que j’avais plus d’avantages en tant que fille», dit-elle en riant. «Mes camarades de classe et mes professeurs ont vraiment tous soutenue. Un de mes enseignants m’a même dit que j’étais ‘‘une perle rare’’ parce que la parité hommes-femmes est encore loin d’être atteinte dans ce secteur et qu’il aimerait que ce soit davantage le cas».

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Rosabelle Chedid est cofondatrice et directrice des opérations de C Green, une startup libanaise qui transforme la boue d’épuration en engrais naturels

Malak Jomaa travaille actuelle­ment dans une entreprise norvégienne, au sein d’une équipe composée à parts égales de développeurs et de déve­loppeuses. «Je pense que le fait d’être une femme m’a donné un avantage à l’embauche. Mes compétences tech­niques étaient un plus, mais ils cher­chaient surtout des femmes». Pour Ro­sabelle Chedid, les jeunes Libanaises doivent «faire le métier de leur choix». «Si vous êtes passionnée par votre tra­vail, vous trouverez une solution pour relever tous les défis auxquels vous se­rez confrontée», assure-t-elle. Mais As­mahan Zein est plus nuancée. «Toute femme travaillant dans une entreprise, quelle qu’elle soit, n’est pas appréciée à sa juste valeur tant qu’elle n’a pas prouvé qu’elle était surqualifiée pour le poste qu’elle occupe», déplore-t-elle. «Vous devez travailler deux fois plus dur [que les hommes]».

                                                       

Autonomisation financière et personnelle

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L’atelier de Warsh(ée) à Sin El Fil (Ph. DR)

L’apprentissage du métier de menuisier a permis à ces jeunes femmes d’être plus autonomes, mais aussi de gagner de l’argent et de prendre confiance en elles. Mariam, qui a abandonné l’école, est fière d’être «devenue financière­ment indépendante» depuis qu’elle a commencé son apprentissage. Pour Nasab, cette formation a renforcé sa confiance en elle et lui a per­mis de se prendre en main. «Avant, j’étais au chômage et je n’avais rien», confie-t-elle. «Je peux désormais faire ce que je veux. Mon rêve était de m’élever socialement ainsi que de connaître d’autres façons d’être et de faire. Dans mon milieu, l’homme est toujours favorisé, ici nous sommes toutes et tous égaux».

Par Ghadir Hamadi & Zeina Antonios