Les entreprises chinoises ont accentué leurs investissements sur les marchés internationaux ces dix dernières années. Malgré la crise mondiale engendrée par la pandémie de la Covid-19, les investissements directs étrangers (IDE) chinois continuent de se développer à un rythme stable.
Selon les chiffres officiels récents, ces IDE chinois se sont élevés à 672,19 milliards de RMB (100,74 milliards de dollars) sur la période allant de janvier à juillet 2021, ce qui représente une hausse de 25,5% en glissement annuel. Durant cette période, les investisseurs chinois ont réalisé des investissements directs non financiers au sein de 4.454 entreprises réparties dans 161 pays.
La Chine investit aujourd’hui massivement dans les domaines de la télécommunication, de l’intelligence artificielle, des énergies vertes et de l’informatique, et a même réussi à développer des technologies devenues pionnières au niveau mondial, comme la 5G. Ses entreprises peinent cependant à internationaliser un grand nombre de leurs marques et à affronter les concurrents puissants.
En effet, les entreprises chinoises, s’étant développées dans leur marché domestique gigantesque et unique à plein d’égards, manquent d’expériences pour s’adapter aux marchés étrangers. Pour compenser, elles reconsidèrent les IDE comme un moyen de réduire les désavantages concurrentiels et les différences culturelles, comme nous l’avons montré dans un article de recherche récent. Ainsi, le processus d’internationalisation, soutenu par l’État qui contrôle de nombreuses entités publiques, permet avant tout aux entreprises chinoises de mettre à niveau leurs technologies et connaissances.
Dans des pays d’accueil comme les États-Unis, l’Allemagne, la France ou le Royaume-Uni, les entreprises chinoises mettent ainsi de plus en plus l’accent sur l’ouverture de centres de recherche et développement pour disposer de talents locaux dans différents domaines. Ces centres permettent des échanges entre les développements technologiques et scientifiques chinois et locaux, et de développer des produits qui sont plus adaptés aux marchés locaux.
En outre, les entreprises chinoises choisissent souvent de décentraliser leur pouvoir de décision concernant le marketing et les ressources humaines afin de mieux répondre aux exigences du marché d’accueil. Les entreprises chinoises ont en effet une connaissance généralement limitée de l’environnement social et juridique des pays étrangers, rendant plus difficile leur accès aux marchés internationaux. Par ailleurs, les comportements et les habitudes des consommateurs à l’étranger, spécialement en Europe et Amérique du Nord, sont différents de ceux de la Chine. En plus de cela, la perception des consommateurs internationaux du «Made in China» n’a pas toujours été positive.
C’est pourquoi, malgré les efforts déjà fournis, les marques chinoises et leur réputation peinent à évoluer et gagner en notoriété. Selon Interbrand, Huawei est la seule entreprise chinoise qui figure sur la liste du dernier classement des «100 meilleures marques mondiales» en 2020 (80e). À titre de comparaison, les États-Unis comptent 52 marques de secteurs différents dans ce classement.
Les entreprises japonaises et coréennes ont dix entreprises, majoritairement mieux classées que Huawei. L’internationalisation des marques d’un pays est normalement corrélée à sa force économique globale. La Chine fait exception, car bien qu’elle soit devenue une grande puissance économique mondiale, ses marques manquent toujours de reconnaissance à l’international.
Sur les marchés européens, on trouve aujourd’hui des marques chinoises qui appartiennent essentiellement au secteur de la haute technologie, comme Huawei, Lenovo, Xiaomi, Oppo, Haier, ByteDance (TikTok), Alibaba, Hisence, Tencent (WeChat), TCL, ZTE, etc. Leur succès s’explique notamment par le rapport qualité-prix des produits, qui constitue l’objectif communément recherché dans les stratégies des entreprises chinoises.
La clé du soft power
Or, cet avantage, s’il permet aux marques chinoises de mieux s’exporter dans les pays à faibles revenus en Asie du Sud-Est, pèse moins lourd dans les décisions d’achat du consommateur occidental. En effet, ce dernier va se montrer davantage attaché à la marque, qui doit être profondément ancrée dans son esprit pour devenir désirable. Les marques n’attirent pas seulement par leurs seuls produits, mais aussi par leurs idées et leur état d’esprit.
C’est pourquoi, jusqu’à présent, les marques américaines dominent largement le marché mondial. Derrière ces marques se cachent une qualité de produit élevée et de fortes capacités d’innovation. Toutefois, ce ne sont pas les seules raisons qui leur permettent de rester en tête de liste. Le soft power, c’est-à-dire le contenu idéologique et spirituel qu’elles portent, constitue un autre facteur de réussite.
La culture américaine a une forte influence dans le monde, qui s’étend même à la reconnaissance et à l’acceptation des produits et des marques par les consommateurs. Pour certains d’entre eux, ces marques sont des représentants des États-Unis, ce sont des symboles et un reflet de la culture américaine. Si les marques comme Nike, McDonald’s, Starbucks, Disneyland, Coca-Cola et Apple étaient d’une autre nationalité, il serait très difficile d’imaginer qu’elles puissent bénéficier autant de la même popularité auprès des consommateurs du monde entier.
Les productions hollywoodiennes constituent également une excellente publicité pour les marques américaines. Le divertissement est ainsi devenu un produit d’exportation majeur des États-Unis et, par conséquent, un avantage économique essentiel. Pour rattraper ce retard, les entreprises chinoises ont donc intérêt à faire évoluer leurs pratiques d’internationalisation en utilisant leur marque non seulement comme une politique commerciale, mais aussi davantage comme un vecteur culturel.
Le plan «Made in China 2025» (inspiré du projet «Industrie 4.0» allemand) se donne pour objectif de changer la perception qu’a le monde de la Chine. Le gouvernement chinois ne veut plus qu’elle soit vue comme l’atelier du monde de produits bas de gamme.
L’innovation technologique restera toutefois la pierre angulaire de l’internationalisation des marques, ce qui expose les entreprises chinoises à de nouveaux risques. L’affaire Huawei et le maintien des sanctions par le gouvernement américain ont par exemple déclenché un réexamen des marques chinoises par les régulateurs gouvernementaux du monde entier.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation