Il y a encore une semaine les écoles et universités privées ne savaient pas exactement à quoi s’attendre pour la réforme du bachelor, censée rentrer en vigueur en septembre prochain. Certaines se disaient dans le «flou total». «Nous devons déposer nos filières pour accréditation fin mars, alors que le cahier de normes pédagogiques du bachelor n’est pas encore validé.
Pour l’heure, c’est le flou total, or nous avons besoin de visibilité pour adapter notre modèle. Il faut procéder à de nouveaux recrutements, acheter des équipements, modifier notre organisation…», relève la directrice d’une école.
Pour leur réunion avec leur ministère de tutelle, jeudi dernier à Rabat (voir article ci-contre), les patrons des établissements privés sont venus avec des questions plein la tête. Y aurait-il plus de flexibilité pour le privé, le master passera-t-il à 6 ans? Si c’est le cas, serait-il plus valorisé qu’un bac+5?... «Pourquoi n’a-t-on pas réussi à appliquer le système LMD qui est également à la base un modèle modulaire à crédit, tout comme le bachelor», s’interroge Khalid Benzakour, DG de l’ISGA.
Les écoles se trouvent aussi embarrassées par rapport à leurs futurs étudiants. «La communication avec les bacheliers a déjà démarré, mais elle n’est pas réalisée de manière sûre, puisque tout n’est pas encore ficelé», confie Hassan Sayarh, DG de HEM Business School.
«La partie qui n’a pas encore réagi à ce projet, ce sont les étudiants. Il faudrait disposer de réponses à toutes leurs questions, autrement cela risque de poser problème», estime Benzakour. Malheureusement pour les patrons des écoles, la majorité de leurs interrogations resteront sans réponse.
Les avis des écoles par rapport à la réforme sont mitigés. Certaines, pas prêtes pour le changement, préfèrent que le projet soit différé, le temps de bien s’y préparer. Elles rejoignent ainsi l’avis des syndicats de l’enseignement supérieur public qui demandent la suspension de la réforme en attendant d’assurer les moyens logistiques, pédagogiques et humains nécessaires.
D’autres se demandent pourquoi ne pas enseigner les soft skills au niveau du collège et du lycée, au lieu de rajouter une année dans le supérieur… Un troisième groupe se dit, au contraire, disposé à déployer la réforme dès la rentrée, à condition que tout soit «clair». Il s’agit notamment des établissements déployant déjà le modèle bachelor avec des contenus proches de ceux proposés par la nouvelle réforme. «Retarder le projet d’une année ne changera pas fondamentalement les choses. Mieux vaut l’affiner en marchant plutôt que de surseoir à sa mise en oeuvre», estime Sayarh.
«La formule bachelor peut être intéressante pour certaines filières et certains types d’établissements. Ma seule réserve est par rapport à cette volonté de sa généralisation. Il faudrait qu’elle soit une proposition parmi d’autres, permettant de présenter aux jeunes une offre diversifiée répondant mieux à leurs besoins», poursuit-il.
Les écoles préfèrent un système optionnel. Elles ont également des réserves par rapport au contenu (voir interview ci-contre), qui risque de les priver de certaines de leurs libertés (rajouter des matières pour enrichir la formation, prévoir plusieurs stages durant le cursus…). Sauf que leur avis n’a pas vraiment été sollicité…
Un électrochoc, mais…
La réforme du bachelor aura le mérite de bousculer un secteur où peu de choses se sont produites depuis 2003, date d’introduction du schéma LMD. Un schéma dont la mise en oeuvre a finalement échoué. Grâce à l’application effective du système de crédits, «la monnaie de l’enseignement supérieur international», selon le ministre de l’Education nationale, Saaïd Amzazi, les étudiants pourront accéder à une meilleure mobilité à l’étranger.
La première année, dite fondatrice, quant à elle, permettra une transition plus fluide entre le secondaire et le supérieur, puisqu’elle sera notamment dédiée à la découverte de la spécialité, à l’ouverture sur d’autres disciplines, aux langues étrangères et aux soft skills. A l’issue de cette «foundation year», les étudiants peuvent continuer dans leur premier choix de formation ou se réorienter sans perdre leurs acquis.
Pour rappel, dans les facultés à accès ouvert, une part non négligeable, déboussolée, abandonne ses études dès la première année (plus de 27% dans les facs de sciences). Le nombre moyen d’années pour l’obtention de la licence va de 4,5 à 5 ans, selon les spécialités. Seuls 13% des étudiants décrochent leur diplôme en 3 ans. Institutionnaliser une année supplémentaire ne changera donc pas grand-chose à la réalité du terrain. La réforme insiste, en outre, sur l’effort personnel et l’auto-apprentissage des étudiants, la certification en langues, les stages, les activités associatives et sportives permettant de gagner des crédits… Autant d’apports qui ne peuvent être que positifs.
Néanmoins, peut-on généraliser ce modèle à tous les types d’établissements? Et surtout, dispose-t-on des moyens nécessaires pour sa mise en application? Dans l’accès ouvert, le premier à être ciblé par la réforme, le nombre pléthorique des étudiants et le déficit d’enseignants, surtout ceux spécialisés en langues et communication, rend l’initiative difficile à déployer.
Certaines facultés pensent même à faire appel à des profs du lycée pour s’en sortir… «Comment enseigner des soft skills dans des classes de 1.000 étudiants?! Et puis, les profs eux-mêmes manquent de compétences transversales!», déplore un cadre dans une faculté de droit. «Avant les soft skills, il faut agir sur la confiance. L’étudiant ne fait plus confiance à son professeur, ni à son administration et son université», estime-t-il.
L’obstacle le plus coriace sera sans doute celui des enseignants, dont une grande partie est désengagée.

Un risque de détournement des étudiants subsahariens?
Une licence en quatre ans au lieu de trois pourrait dissuader des étudiants subsahariens de choisir le Maroc pour effectuer leurs études supérieures. C’est la crainte de nombreuses écoles supérieures privées. Certaines accueillent jusqu’à 45% d’étudiants subsahariens. La Tunisie, dont la licence est de trois ans, avec une offre plus ou moins similaire, pourrait ainsi bénéficier d’un argument supplémentaire au détriment du Maroc.
Ahlam NAZIH
Chère lectrice, cher lecteur,
L'article auquel vous tentez d'accéder est réservé à la communauté des grands lecteurs de L'Economiste. Nous vous invitons à vous connecter à l'aide de vos identifiants pour le consulter.
Si vous n'avez pas encore de compte, vous pouvez souscrire à L'Abonnement afin d'accéder à l'intégralité de notre contenu et de profiter de nombreux autres avantages.