
Lorsque les employés d’un métro à Tokyo observent un mouvement de grève, ils le programment un dimanche entre 23h et minuit... en portant un brassard. Lorsqu’en Allemagne, les salariés en arrivent à réfléchir à des arbitrages ultimes, c’est en vertu de l’article 9 de la loi fondamentale, qui insiste sur la «préservation et l’amélioration des conditions de travail et des conditions économiques». Oui, l’on peut toujours discourir ou gloser sur les fondements originels de la discipline et du sens de la responsabilité asiatique et germanique. Là-bas, comme pour tout le reste, la grève est normée, et son coût bien mesuré par ceux-là même qui seront tentés de s’en servir pour faire pression.
Au Maroc, l’on a beau être en 2015, les fonctions vitales des conflits sociaux continuent de tourner sous leurs cerveaux reptiliens. C’est à qui déroulera l’arsenal d’insubordination le plus efficace pour saboter l’outil de production. Ici, on continuera de saborder un sidérurgiste en convalescence, là, l’on squattera l’esplanade d’animation d’un hôtel de Marrakech peu importe si cet établissement y réalise un exploit dans la conjoncture actuelle: un taux de remplissage correct.
Les demandes d’intervention du pouvoir judiciaire? Elles ne donnent pas les résultats escomptés, du moins pas dans les délais souhaités par les entreprises. Les médiations des centrales? Inefficaces vu que les QG n’ont pas toujours d’emprise sur leurs bases et sont du coup impuissantes à intervenir pour calmer le climat social et tenter de reprendre la main sur des mouvements que personne n’encadre. Ces conflits sont révélateurs avant tout de l’échec du système de concertation sociale à la marocaine. En dehors du secteur bancaire, le constat est manifeste: l’impossibilité à se mettre d’accord sur des modes de conduite clairs au niveau sectoriel. Ce n’est pas le plus inquiétant. Ce qui l’est, c’est que ces grèves sont des ovnis que les centrales syndicales et les partis historiques ne maîtrisent ni idéologiquement ni politiquement.
Mohamed Benabid