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Iran: La mort d’Ebrahim Raïssi va-t-elle changer la donne?

Par Eric Lob | Edition N°:6770 Le 22/05/2024 | Partager

Eric Lob est professeur universitaire en sciences politiques et relations internationales à l’université internationale de Florida

Le président de l’Iran Ebrahim Raïssi, qui a trouvé la mort dans le crash de l’hélicoptère qui le transportait, aux côtés de plusieurs autres dignitaires de la République islamique dont le ministre des Affaires étrangères Hossein Amir Abdollahian, était un loyaliste de longue date. Sa disparition représente un coup dur pour les dirigeants conservateurs du pays. Le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a annoncé un deuil public de cinq jours à la suite de la confirmation de la mort de celui qui, pour bien des observateurs, apparaissait comme son successeur désigné.
Quelles seront les conséquences de la mort brutale de Raïssi pour un État iranien rongé par le chaos à l’intérieur et impliqué dans de multiples confrontations au niveau international?

Qui était Ebrahim Raïssi?

Raïssi était un apparatchik de premier plan de la République islamique et un protégé d’Ali Khamenei, qui détient la réalité du pouvoir dans la République islamique depuis qu’il est devenu Guide suprême en 1989, après avoir lui-même exercé la fonction présidentielle au cours des huit années précédentes. Avant d’accéder à la présidence en 2021, Raïssi avait occupé divers postes au sein de l’appareil judiciaire, sous l’autorité du Guide suprême. En tant que procureur, il avait siégé au sein du comité qui a condamné à mort des milliers de prisonniers politiques après la fin de la guerre Iran-Irak en 1988.
Ces exécutions lui ont valu d’être surnommé «le boucher de Téhéran» et de faire l’objet de sanctions de la part des États-Unis, tandis que des organisations internationales de défense des droits de l’homme ont appelé à ce qu’il soit jugé pour crimes contre l’humanité. À partir de 2006, Raïssi siégeait à l’Assemblée des experts, un organe d’une importance majeure car il nomme le Guide suprême et supervise son action. Malgré son manque de charisme et d’éloquence, Raïssi, 63 ans au moment de sa mort, était considéré comme le grand favori pour succéder à Khamenei, 85 ans, en tant que Guide suprême.

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20 mai 2024, les journaux iraniens ont annoncé la disparition du président du pays dans un crash d’hélicoptère. Ebrahim Raïssi était un ultraconservateur qui avait réagi avec la plus grande violence aux manifestations de la population sous le slogan «Femme, vie, liberté» (Ph. Atta Kenare/AFP)

Un bilan présidentiel négatif

Sur le plan intérieur, la présidence de Raïssi a été à la fois la cause et la conséquence de la crise de légitimité que traverse aujourd’hui le régime et du chaos dans lequel est plongée la société. Sa victoire à l’élection présidentielle en 2021 a suscité la controverse, de nombreux candidats ayant été disqualifiés avant le scrutin par le Conseil des Gardiens, chargée d’entériner les candidatures, et la participation ayant atteint un niveau historiquement bas, s’élevant à moins de 50%. Pour donner satisfaction à leur base conservatrice, Raïssi et son gouvernement ont conforté les attributions de la police des mœurs et renforcé les restrictions religieuses imposées à la société. Cette politique a abouti aux manifestations tenues sous le slogan «Femme, vie, liberté», déclenchées par la mort en garde à vue de Mahsa Amini en 2022.
Ces manifestations ont été les plus importantes et les plus longues de l’histoire de la République islamique, apparue en 1979. Elles ont également donné lieu à une répression sans précédent de la part de l’État: plus de 500 manifestants ont été tués et des centaines d’autres ont été blessés, ont disparu ou ont été placés en détention. Tout au long de la confrontation entre le pouvoir et les contestataires, Raïssi a démontré une loyauté sans faille envers le Guide suprême et les élites conservatrices en redoublant de mesures autoritaires. Pendant ce temps, sous Raïssi, l’économie iranienne a continué à souffrir des effets de la combinaison de l’inefficacité et de la corruption du gouvernement, ainsi que des sanctions américaines, qui se sont intensifiées en réponse à la répression déclenchée par Téhéran contre la contestation intérieure et à ses provocations à l’étranger.

                                                 

La confrontation plutôt que l’apaisement

L’agitation intérieure sous la présidence de Raïssi s’est accompagnée d’une évolution du rôle régional et international de l’Iran. En tant que Guide suprême, c’est Ali Khamenei qui a le dernier mot en matière de politique étrangère. Mais Raïssi a entièrement soutenu sa politique de confrontation avec ses adversaires, spécialement avec les États-Unis et Israël. Que ce soit par choix ou par nécessité, Téhéran s’est éloigné de toute idée de rapprochement avec l’Occident.

Frappé par des sanctions américaines accrues, l’Iran de Raïssi s’est montré réticent à relancer l’accord nucléaire. Au contraire, même: l’Iran a accru sa production d’uranium, interdit à des inspecteurs internationaux d’accéder aux sites qu’ils souhaitaient visiter et est devenu un État du seuil nucléaire. Raïssi a également poursuivi la politique de «Regard vers l’Est» de son prédécesseur, Hassan Rohani. À cette fin, lui et son gouvernement ont cherché à se rapprocher davantage de la Chine. Pékin, de son côté, a offert à Téhéran une bouée de sauvetage économique en important du pétrole iranien et en parrainant un accord diplomatique entre l’Iran et l’Arabie saoudite en mars 2023.

En outre, sous la présidence de Raïssi, l’Iran a continué à servir d’allié et de bailleur de fonds dans les conflits anti-américains et anti-occidentaux, en livrant des drones de combat à la Russie pour qu’elle les utilise en Ukraine et en fournissant des armes à diverses forces qu’il soutient au Moyen-Orient. Depuis le début de la guerre de Gaza le 7 octobre 2023, l’Iran de Khamenei et Raïssi a maintenu un équilibre délicat, autorisant ses mandataires régionaux à s’en prendre à Israël et aux États-Unis tout en évitant une confrontation directe avec les deux pays, dont les capacités militaires sont supérieures aux siennes. Cet équilibre a été momentanément rompu en avril dernier, lorsque, en représailles après des frappes ayant détruit le consulat iranien à Damas, la République islamique a directement attaqué Israël avec des drones et des missiles, pour la première fois dans l’histoire.
Bien qu’il ne soit pas directement responsable de la politique étrangère, Raïssi a été l’un des principaux partisans des mesures prises par le régime iranien pour se distancer toujours davantage de l’ordre international établi et rechercher des alliances avec des pays également antagonistes à l’égard de l’Occident. D’ailleurs, le crash s’est produit alors que Raïssi et ses collègues revenaient d’une cérémonie d’inauguration d’un barrage organisée dans l’Azerbaïdjan voisin. La cérémonie était vraisemblablement destinée à permettre à l’Iran de s’attirer les faveurs de l’Azerbaïdjan, alors que Téhéran avait adopté une position ambiguë, voire contradictoire, dans le conflit du Haut-Karabakh, qui s’est soldé par une victoire convaincante des forces azéries à la fin de l’année 2023.

                                                 

Ce que pourrait signifier un changement de président

En la personne de Raïssi, le guide suprême Khamenei a perdu un fidèle de longue date, un pilier du régime et un successeur potentiel. Selon la Constitution iranienne, c’est le premier vice-président qui exerce l’intérim en cas de décès d’un président en exercice. Ce poste est aujourd’hui détenu par Mohammad Mokhber, un homme politique de la même trempe que Raïssi, et connu pour avoir joué un rôle éminent au sein de la délégation iranienne chargée de négocier des accords d’armement avec Moscou. L’Iran devra également organiser une élection présidentielle dans les 50 jours.

Reste à savoir à qui Khamenei donnera le feu vert pour succéder à Raïssi à la fois en tant que futur président et en tant que successeur potentiel dans la fonction de Guide suprême. Mais il est presque certain que les conservateurs de Téhéran vont encore davantage serrer les rangs, compte tenu des pressions internes et externes auxquelles ils sont confrontés. Sur le plan intérieur, cela pourrait prendre la forme d’une plus grande répression étatique et d’une manipulation de la présidentielle à venir. Sur le plan régional et international, il faut s’attendre à un renforcement des liens avec les nouveaux alliés de Téhéran naissants et la poursuite d’une confrontation calculée avec les adversaires traditionnels.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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