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Absence et profil bas: La stratégie payante de Marine Le Pen

Par Olivier GUYOTTOT | Edition N°:6798 Le 03/07/2024 | Partager

Olivier Guyottot est enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande École

La lutte contre l’extrême droite est régulièrement présentée comme une priorité par le président de la République et par la majorité des autres partis politiques. Pourtant, Marine Le Pen et le RN n’ont jamais été aussi proches du pouvoir. Alors que le RN est passé de 18,7% des voix en 2022 à 33,15%  (en intégrant les voix d’Éric Ciotti et ses amis) en 2024 dans le cadre du premier tour des élections législatives, cette popularité croissante met en lumière le succès d’une stratégie inédite. Cette dernière, marquée par l’absence et la discrétion, tranche avec l’omniprésence médiatique des responsables politiques en général, et d’Emmanuel Macron et de Jean-Luc Mélenchon en particulier.

Depuis 2022, une stratégie tout en discrétion

25 avril 2022: le second tour de l’élection présidentielle vient de rendre son verdict et Emmanuel Macron est réélu face à Marine Le Pen. La bataille des législatives commence… et Marine Le Pen annonce qu’elle part en vacances. Sa décision ne peut que surprendre avant une échéance électorale de cette importance et alors que certains responsables politiques présentent les élections législatives comme le 3ᵉ tour de l’élection présidentielle qui pourrait forcer Emmanuel Macron à cohabiter si le camp présidentiel n’est pas majoritaire à l’Assemblée nationale. L’opposition entre le camp présidentiel mené par Emmanuel Macron et une Nupes naissante menée par Jean-Luc Mélenchon prend dès lors toute la lumière. L’opposition est assez frontale entre d’un côté un président réélu qui perçoit le danger que représente la grande coalition de gauche et un leader insoumis qui caresse l’espoir de s’installer à Matignon.

Face à une dynamique électorale bien moins porteuse que lors des législatives de 2017 pour son mouvement, Emmanuel Macron se positionne alors comme un rempart face au danger que signifierait l’arrivée au pouvoir d’une coalition de gauche dominée par les Insoumis. Son discours de l’entre deux tours devant l’avion présidentiel à quelques minutes d’un départ pour rendre visite à des militaires français en Roumanie, appelant au sursaut républicain face à la menace des extrêmes, vient parfaitement illustrer cette posture. Cette stratégie rappelle alors l’attitude de Charles de Gaulle dénonçant la chienlit de mai 68 et se posant en rempart face aux désordres de l’époque. Le mouvement gaulliste avait ensuite largement remporté les législatives de 1968 après la dissolution décidée par le chef de l’État.

Du côté de la Nupes, la domination de la France insoumise dessine une stratégie marquée par la critique du président réélu et par une personnalisation de la campagne autour de la figure de Jean-Luc Mélenchon, légitimée par ses 21,95% obtenus au premier tour de l’élection présidentielle. À côté de cette omniprésence médiatique, la campagne législative de Marine Le Pen – de retour de vacances – et du RN semble peu audible. Elle permet pourtant au mouvement d’extrême droite de faire élire, à la surprise générale, 89 députés dans le cadre d’un scrutin majoritaire historiquement défavorable au RN avant 2022.

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Marine le Pen arrive à l’Hôtel Matignon le 15 décembre 2022 (Ph. AFP)

La «stratégie de la cravate»

Après sa réélection de 2022, Emmanuel Macron déclare que «ce vote l’oblige» et qu’il doit par conséquent tenir compte des votes qui se sont portés sur sa candidature pour faire uniquement barrage à Marine Le Pen et faire évoluer sa pratique du pouvoir. La séquence, qui va de sa réélection en juin 2022 aux élections européennes de 2024, est pourtant marquée par l’utilisation répétée du 49,3 par son gouvernement pour faire passer des lois parfois très contestées, comme la réforme des retraites. Sa grande conférence de presse télévisée du 16 janvier 2024, devant le gouvernement et une assemblée de journalistes n’ayant droit qu’à quelques questions, illustre aussi une verticalité persistante de sa pratique du pouvoir en droite ligne de son premier quinquennat.

Du côté de la Nupes, la stratégie de «guérilla» parlementaire défendue par Jean-Luc Mélenchon et menée par les députés de la France insoumise crée la polémique, notamment pendant les discussions concernant la réforme des retraites. Elle semble mal passer dans l’opinion publique et finit par faire exploser la coalition de gauche suite aux attentats du Hamas sur le sol israélien. Marine Le Pen, quant à elle réélue députée, impose aux 89 députés du RN à l’Assemblée la «stratégie de la cravate». Il s’agit d’être bien habillés, courtois et respectueux. En dehors de quelques dérapages comme l’affaire des propos racistes de Grégoire de Fournas, la tactique est globalement respectée par les élus RN. Leur attitude tranche avec les violents échanges opposant notamment régulièrement les députés insoumis et les membres du gouvernement ou certains députés de la majorité présidentielle.

Des concurrents trop mis en avant?

Rétrospectivement, la stratégie de Marine Le Pen et du RN lors des législatives de 2022 a pu paraître surprenante et contre-productive. Alors que c’est elle qui est arrivée en seconde position à l’élection présidentielle, elle semble laisser la place de première opposante au pouvoir à Jean-Luc Mélenchon. La suite semble pourtant légitimer cette stratégie visant à ne pas faire de vagues et à faire profil bas. Elle se révèle, lors des travaux de l’Assemblée nationale élue en 2022, cohérente avec son travail de dédiabolisation mis en place à son arrivée à la tête du parti frontiste. Surtout, elle la distingue de ses deux principaux rivaux de l’élection présidentielle, qui finissent par apparaître l’un comme l’autre plus clivants.

Au-delà de la question de savoir si la stratégie de dramatisation des enjeux choisie par Emmanuel Macron et celle du combat permanent et de la polémique adoptée par Jean-Luc Mélenchon sont utiles à leur camp, ces deux stratégies semblent légitimer, par contraste, celle de Marine Le Pen. Et ainsi accompagner une montée progressive du RN, désormais aux portes du pouvoir.

Une stratégie risquée pour devenir présidente?

En laissant le champ libre à Jordan Bardella pour un éventuel poste de Premier ministre, Marine Le Pen semble vouloir rester sur cette ligne qui lui a particulièrement réussi ces deux dernières années. Mais une telle stratégie présente aussi des risques… surtout si le RN accède au pouvoir à la suite des législatives actuelles. En cas d’échec, Marine Le Pen pourrait aborder les prochaines élections présidentielles à la tête d’un mouvement rendu potentiellement moins populaire par la pratique du pouvoir.

À l’inverse, la possibilité que Jordan Bardella profite de son nouveau rôle pour gagner en popularité et se sente dès lors légitime pour se présenter à la prochaine présidentielle, à l’instar d’Édouard Balladur suite à la cohabitation de 1993, n’est pas à exclure. Sans compter qu’une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale avant 2027 est une possibilité déjà envisagée par le camp présidentiel (il faudra attendre au moins un an pour le faire). Dans tous les cas, il y a fort à parier que Marine Le Pen soit obligée de s’exposer davantage et de laisser de côté une stratégie pourtant couronnée de succès, si elle veut un jour accéder à la présidence de la République.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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