
Fin de journée du mardi 7 avril à Casablanca, L’Economiste est témoin d’une scène. Un couple franco-marocain habitant un immeuble à proximité du boulevard Bourgogne se déchire sur leur balcon. Leurs deux enfants en bas âge assistent à la scène.
Personne n’intervient ou presque. Pourquoi? «La violence dans le contexte conjugal est une affaire privée qui concerne le ménage. Elle n’est pas encore devenue une préoccupation dominante dans la société», selon l’enquête 2019 du Haut Commissariat au Plan sur la prévalence de la violence à l’égard des femmes. Que faire lorsqu’une femme est violentée? Appeler le 8350 (Lire article).
Ce numéro vert est mis à disposition des personnes voulant alerter sur une agression, témoins ou victimes. Au bout de la ligne, une accompagnatrice sociale prend en charge notre communication en vue de transmettre éventuellement notre alerte à la police. Nous avons décliné notre profession de journaliste au centre d’écoute afin d’être informé sur la suite de la procédure. En fin de compte, la police n’est pas intervenue chez nos voisins.
Il n’y a pas d’intervention si la situation revient au calme. Seuls les signalements urgents sont transmis à la police. Car il y a une «procédure pour se déplacer», nous dit-on après moultes résistances et hésitations. C’est aux opératrices, formées en psychologie notamment, à qui revient d’évaluer la gravité de la situation. Large débat: quel est le seuil de gravité exigeant une intervention?
«Les services de sécurité ne se déplacent pas systématiquement dans les lieux de l’agression. Ils ne le font que si la victime est physiquement atteinte ou expulsée de son domicile par son conjoint», témoigne l’opératrice d’un centre d’écoute qui a souhaité garder l’anonymat. C’est le cas aussi «lorsqu’il n’y a plus de signes d’agression» comme les cris par exemple.
«Plus votre appel est alarmiste, plus il y a de probabilité à ce que votre alerte soit relayée aux forces de l’ordre pour une intervention», conseillent des associations de défense des droits des femmes. Il est recommandé aussi d’appeler directement les forces de l’ordre.
Les victimes se taisent
Cela ne signifie pas forcément qu’il n’y a pas de prise de conscience chez les services de sécurité. La Sûreté nationale (DGSN) a dédié le dernier numéro de sa revue mensuelle à la lutte contre la violence à l’égard des femmes. Les statistiques judiciaires démontrent aussi que ce type d’infraction compte dans la politique pénale: 17.103 affaires sur 1,5 million en 2018 (voir illustration page 19). Mais ce chiffre ne rend pas compte totalement de la réalité.
«Les femmes victimes des violences continuent à s’abstenir de les dénoncer», selon l’enquête 2019 du HCP. A peine 10,5% d’entre elles «ont déposé plainte à la police ou autre autorité compétente». Quant au recours des victimes «à la société civile, il ne concerne que 1,3% des femmes»!
Sur le terrain, une trentaine d’associations ont lancé le 2 avril 2020 un appel. Elles réclament «aux pouvoirs publics d’accroître leur veille et leur vigilance en mettant en place des mesures concrètes pour protéger les femmes victimes de violences domestiques pendant la période de confinement» (voir encadré).
Systématiser l’intervention des autorités a deux effets. D’abord, dissuader au moins l’agresseur de ne pas réitérer des actes réprimés pénalement (Lire article). Ensuite, soutenir la victime pour qu’elle ne se sente pas seule face à la violence. L’indifférence tue!
Ce que réclame la société civile

Une trentaine d’associations interpellent les pouvoirs publics. Elles ont formulé six recommandations. D’abord, une campagne de sensibilisation grand public en langues arabe et amazighe. Elle devra alerter sur les violences faites aux femmes durant le confinement.
Ensuite, les forces de l’ordre chargées de faire respecter la quarantaine doivent intervenir en cas d’agression. Autre recommandation, recenser et diffuser les coordonnées des instances, plateformes et services dédiées aux victimes. La société civile réclame aussi un appui pour maintenir ses services d’écoute, d’accompagnement à distance et de prise en charge des femmes violentées (Lire article).
Il y a également la mise en place, via l’Entraide nationale, de structures d’accueil de confinement pour éloigner les conjoints violents de leurs victimes. Dernière recommandation, l’activation des réformes juridiques et institutionnelles dès la fin de la crise sanitaire.
Faiçal FAQUIHI
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