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Donald Trump, une candidature aidée par la justice américaine

Par Anne E. DEYSINE | Edition N°:6813 Le 24/07/2024 | Partager

Anne E. Deysine est professeur émérite juriste et américaniste, spécialiste Etats-Unis, questions politiques, sociales et juridiques (Cour suprême), Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Pour Donald Trump, l’alignement des planètes était total. Son adversaire, Joe Biden, avait fait un débat calamiteux et était contesté au sein de son propre camp. Lui-même avait échappé à une tentative d’assassinat, ce qui lui avait valu une photo iconique d’homme fort, et la convention républicaine l’avait adoubé avec adoration. Mais ce dimanche, Joe Biden a renoncé à la course à la présidentielle, et Trump devra probablement faire face à une femme, Kamala Harris, nettement plus jeune que lui et qui saura débattre, attaquer et surtout s’appuyer, face à un candidat déjà condamné et encore inculpé dans plusieurs affaires, sur sa connaissance et sa compréhension des mécanismes judiciaires, puisqu’elle a été procureure générale de Californie (2011-2017) avant de devenir sénatrice (2017-2021) puis vice-présidente.

Il n’empêche que les dernières décisions rendues par la justice américaine vont largement dans le sens de Trump. Lui qui dénonce régulièrement la supposée instrumentalisation des poursuites dont il fait l’objet par des juges supposément «politiques» et acharnés à le faire tomber est désormais assuré d’une immunité qui confine à l’impunité dans les affaires pénales qui le visent, dont deux fédérales.

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Dans la première de ces deux affaires, Trump est poursuivi pour les faits commis autour de la certification de l’élection et de l’insurrection du 6 janvier 2021. La Cour suprême a conclu début juillet à une immunité quasi absolue du président. Dans la seconde, il est poursuivi pour avoir conservé après son départ de la Maison-Blanche (en violation de la loi) et montré (à des personnes non habilitées, ce qui relève de la loi sur l’espionnage), des documents classés secret défense qu’il gardait dans son domicile en Floride et refusait de rendre. La juge fédérale Aileen Cannon – nommée en 2020 par Trump – a décidé, mi-juillet, que la nomination en novembre 2022 du procureur spécial Jack Smith pour enquêter sur les deux affaires fédérales, n’était conforme ni à la loi ni à la Constitution; en conséquence, les poursuites doivent prendre fin.

Revenons sur ce double épisode judiciaire qui n’aura pour seul effet que d’interdire aux juges de juger et aux électeurs de connaître la vérité. En revanche, c’est un signe supplémentaire que les juges nommés grâce aux milliards de dollars dépensés par la droite rendent les décisions attendues.

L’affaire de l’insurrection du Capitole

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 (Ph. Privée)

Le 1er juillet 2024, la Cour suprême a jugé que Trump bénéficie de l’immunité de bénéficier d’une «présomption d’immunité» pour les actes commis en tant que président. Or, le 6 janvier 2021, il était officiellement encore en poste. Il n’y aura donc ni procès ni verdict avant que les électeurs aillent voter le 5 novembre. Que ses atermoiements aient été volontaires ou non, la Cour a fait le jeu de Trump et de ses manœuvres dilatoires. Quant à la tâche du procureur, s’il ne renonce pas, elle est devenue mission impossible.

La décision Trump v. United States rendue à six voix contre trois, souligne le clivage idéologique entre les trois juges progressistes nommés par des présidents démocrates et les six juges estampillés conservateurs, dont trois nommés par Trump dans des conditions très contestables, avec l’aide partisane du leader républicain au Sénat, Mitch McConnell. Ces six juges sont tous membres du puissant groupe de pression Federalist Society, créé en 1982 pour changer la coloration, selon la droite, trop libérale/progressiste des juridictions fédérales et de la Cour suprême. C’est le directeur de ce groupe, Leonard Leo, qui les a tous soigneusement présélectionnés et a financé des millions de dollars de publicités pour appuyer leur candidature.

Dans Trump v. United States, la Cour suprême a jugé que le président jouit d’une immunité absolue pour tout ce qui relève du cœur de la fonction présidentielle et d’une présomption d’immunité pour les autres actes présumés officiels – sans expliquer où se situe la frontière et comment une juridiction inférieure devra déterminer si tel acte est «officiel» ou non. Cette immunité très large est en contradiction avec le principe fondateur de primauté du droit (rule of law) mis en place par les Pères fondateurs désireux de s’assurer que le futur président ne serait pas «au-dessus des lois» à l’instar du roi d’Angleterre, qui ne pouvait être jugé. Ils n’ont en conséquence pas inscrit l’immunité du président dans la Constitution. Pourtant, les juges conservateurs ont jugé que cette garantie était nécessaire au bon fonctionnement de l’institution de la présidence. Le juge Alito s’est ainsi interrogé durant l’audience: «Comment un président pourrait-il agir avec hardiesse s’il doit craindre les poursuites?»

Question répétée sous des formes diverses par ceux des juges prétendument conservateurs (en réalité ultra-radicaux et très éloignés de bon nombre des principes propres aux conservateurs traditionnels) qui ont fait leurs classes dans les administrations républicaines précédentes en faveur d’une présidence forte, voire impériale. Seule la juge Barrett, qui a un profil différent, n’a pas rejoint la majorité sur la totalité de la décision. Il incombe désormais à la juge de première instance Tanya Chutkan qui avait conclu, ainsi que la cour d’appel, à l’absence d’immunité et à qui est renvoyée l’affaire par la Cour suprême, de déterminer pour chaque acte visé par le procureur spécial Jack Smith s’il s’agit d’un acte officiel ou non en fonction de ce que la juridiction suprême a jugé.

Quand en décembre 2020 Trump demande à son ministre de la Justice d’annoncer qu’il y a eu des fraudes (ajoutant qu’il se charge du reste); quand il téléphone le 2 janvier 2021 au responsable électoral de Géorgie et lui demande de trouver 11.780 voix afin qu’il puisse remporter l’État; quand il demande le 5 et le 6 janvier à son vice-président Mike Pence de bloquer la certification de la victoire de Joe Biden… agit-il dans le cadre de sa fonction de président (acte officiel) ou en tant que candidat souhaitant se maintenir au pouvoir par tous les moyens dans les différents actes visés (actes sans doute non officiels)? La juge Chutkan devra trancher. Répondre à ces questions sera d’autant plus difficile que la Cour suprême a lié les mains des futurs juges en spécifiant que le procureur ne peut ni apporter aucun acte officiel comme élément de preuve ni rechercher la motivation de la personne inculpée.

                                 

La dérive droitière de la Cour suprême

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 (Ph. Privée)

Plus largement, il faut s’inquiéter de la dérive des juridictions désormais très conservatrices, qui n’hésitent plus à juger en faveur d’une présidence quasi impériale, à limiter les pouvoirs des procureurs et à remettre en cause les droits et libertés: droit de vote, droit à l’avortement…
L’opinion publique ne s’y trompe pas. Alors que la Cour a longtemps fait l’objet d’une révérence quasi religieuse, elle est aujourd’hui jugée partisane par une majorité des Américains et 75% des sympathisants démocrates. Mais ces juges sont nommés à vie et le problème ne disparaîtra pas de lui-même. Seul un président (une présidente) démocrate disposant de larges majorités à la Chambre et au Sénat serait en mesure de contrer les dérapages de la juridiction suprême. Même si le remplacement de Biden par Harris a redonné de l’espoir au Parti de l’âne, cette configuration est très improbable en 2024.

                                 

Une décision aux lourdes conséquences

LA décision est une victoire pour Trump et une défaite pour la démocratie et pour la notion qu’un président doit, comme les autres, rendre des comptes lorsqu’il commet des actes contraires à la loi ou à la Constitution. Avec cette décision, il est devenu presque impossible de prouver la culpabilité de Donald Trump mais aussi celle des futurs présidents. En d’autres termes, le sentiment d’impunité qui est né lorsque le président Ford a gracié Richard Nixon et qu’aucune poursuite n’a pu être intentée contre ce dernier va se renforcer. Il faut craindre que les futurs présidents (à commencer par Trump s’il est réélu), sachant qu’ils sont à l’abri de toute poursuite que ce soit pendant leur mandat (position du ministère de la Justice) et après (avec cette décision de la Cour suprême), n’hésitent plus à violer la loi. C’est ce que souligne la juge progressiste Sonia Sotomayor dans son opinion dissidente virulente de 30 pages, dont elle lit certains extraits à voix haute au moment de l’annonce de la décision.

Après avoir développé une analyse historique et constitutionnelle, elle passe en revue les cas d’école posés lors des audiences de la cour d’appel du district de Colombia et de la Cour suprême. Si le président donne aux forces spéciales l’ordre de tuer un adversaire politique, jouit-il de l’immunité? Et s’il fomente un putsch pour se maintenir au pouvoir? Et s’il use de son droit de grâce en échange d’un pot-de-vin? Chaque fois, la juge Sotomayor conclut qu’au vu de la décision de la Cour, la réponse doit être immunité. Et si Trump est élu, s’il emprisonne ou traîne en justice (sous de faux prétextes) ses adversaires politiques (ainsi qu’il l’a clairement annoncé), peut-on attendre d’une Cour suprême conservatrice et arrogante avec un fort tropisme en faveur de l’exécutif qu’elle se risque à invalider certains actes et à le condamner une fois son mandat terminé?

En partenariat avec The Conversation

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