Tanger ne dort pas sur ses lauriers: dans une région en pleine effervescence, les TPME doivent relever des défis de taille pour tenir la cadence. Une idée dont ont débattu les panélistes lors de la conférence «Ftour Invest» organisée par le groupe Eco-Médias, tenue le 21 mars 2025 à Tanger. Des enjeux comme les compétences, le recrutement, la décarbonation, ou encore la continuité ont été soulevés par des grands acteurs, Anapec, Chambre de commerce et de services, et d’autres acteurs clés.

L'Anapec prépare les TPME à 2030
À l’horizon 2030, avec la Coupe du monde en vue, la région se forge un avenir où les petites entreprises jouent grand. Abdelghaffar Moustaghfir, chef de service prestations à l’entrepreneuriat et à la TPE à l’Anapec, ouvre le débat sur une note pratique: «On identifie les besoins des entreprises. Du sourcing à la sélection, avec tests et évaluations, l’agence accompagne les TPE à chaque étape.» Il précise que l’Anapec agit dès la phase initiale, en identifiant les besoins spécifiques des entreprises grâce à une panoplie de services et d’outils, soutenus par l’expertise de conseillers en emploi. Des programmes comme Idmaj, élargi en 2025 aux diplômés via la loi de finances, offrent des exonérations fiscales, tandis que les nouvelles entreprises peuvent embaucher deux salariés à 10.000 dirhams en CDI avec avantages pendant deux ans, un dispositif qui donne un coup de pouce aux jeunes entrepreneurs. Le contrat d’intégration professionnelle, quant à lui, forme des universitaires via un mentorat structuré, permettant aux TPE d’accéder à des talents qualifiés. Pour combler le fossé des compétences, le programme Taehil propose une formation contractualisée et un volet «secteurs émergents» (66.000 DH par personne) pour des filières stratégiques comme l’automobile, l’aéronautique, les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et l’électronique. «Nous avons aussi une veille annuelle qui anticipe les besoins des investisseurs», ajoute Moustaghfir, expliquant que cette démarche, renforcée par la présence de l’Anapec au CRUI, permet de préparer des viviers de talents et de lancer des formations de reconversion adaptées aux secteurs porteurs.
Intégrer les TPME aux chaînes de production mondiales
La Chambre de commerce, d’industrie et de services de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma, par la voix de son vice-président Houssain Ben Taieb, met l’accent sur le terrain. «Nous réunissons les acteurs dans des rencontres et événements», explique-t-il, pour partager des informations vitales, appuyées par des institutions locales et des sections spéciales dédiées au soutien. Il insiste sur l’importance de ces initiatives pour maintenir un dialogue constant avec les TPME, leur permettant d’accéder à des données cruciales pour leur développement. Mais il reconnaît aussi que «la communication a changé, elle doit suivre», soulignant que les méthodes traditionnelles ne suffisent plus dans un monde où les canaux numériques dominent. Dans un contexte global en accélération, où des événements mondiaux redessinent les dynamiques économiques, intégrer les TPME aux chaînes de production mondiales devient essentiel, surtout dans un pays porté par une grande stratégie nationale. «Cela exige des compétences et des connaissances nouvelles pour répondre à ces changements», ajoute-t-il, plaidant pour une adaptation rapide des entreprises locales face à une concurrence accrue. «C’est crucial pour l’emploi et l’investissement», martèle Ben Taieb, avec des échéances comme 2025 et 2030 en ligne de mire, notamment avec des événements majeurs comme la Coupe du monde qui nécessiteront une main-d’œuvre qualifiée et des infrastructures prêtes. Sur un autre front, la décarbonation s’impose comme un défi incontournable.

Tanger Med défie l’Europe et l’Asie
Ahmed Bennis, directeur général de Tanger Med Zones, est catégorique: «C’est une réalité.» Avec 80% des exportations régionales vers l’Europe, où une taxe carbone se profile, «perdre l’accès au marché, c’est le déclin», prévient-il, insistant sur l’urgence pour les TPME de s’adapter. Bennis met aussi en garde contre les risques de la concurrence internationale: «Nous sommes en concurrence avec des plateformes d’Europe de l’Est, d’Europe de l’Ouest, comme l’Espagne ou le Portugal, mais aussi avec des zones mexicaines et asiatiques.»
Il appelle à une diversification sectorielle pour capter de nouvelles opportunités: «Avoir une base automobile, c’est bien, mais il faut diversifier en profondeur et aller chercher de nouveaux secteurs pour continuer à attirer des investissements et créer de la richesse.»
Le Centre régional d’investissement de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma (CRI TTA) s’inscrit aussi dans cette démarche verte: un partenariat avec la SFI vise à créer des écoparcs industriels alimentés en énergie verte, avec une assistance technique et financière pour accompagner les TPME dans leur transition énergétique, un enjeu crucial face aux futures normes européennes.
Financer la transition énergétique
«Aujourd’hui, mettre en place des solutions de transition énergétique coûte de l’argent, et il faut bien financer cette transition», souligne Younes Tazi, directeur du CRI TTA, précisant que ce partenariat vise à garantir que les entreprises de la région puissent continuer leurs exportations sans être pénalisées par la taxe carbone.
L’inclusion reste une priorité, comme le rappelle Rabie Khamlichi, directeur général des services au Conseil de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceïma. «La région, c’est 7.100 km² et 146 communes», souligne-t-il, et des zones comme Chefchaouen, en décroissance, ne doivent pas être laissées pour compte.
Il insiste sur une vision de développement intégré: «Nous avons un constat clair: certaines provinces n’ont pas bénéficié des retombées de la dynamique de développement, comme Al Hoceïma ou une grande partie de Chefchaouen.»
Eviter le surtourisme!

De son côté, Jamil Ouazzani, directeur Marketing & Intelligence stratégique du port de Tanger Ville (SGPTV SA), parie sur l’expérience client, analysant la satisfaction des croisiéristes pour tenir tête à Venise ou Barcelone, tout en travaillant sur l’électrification des quais pour un avenir plus durable. «On travaille sur l’expérience client, mais aussi sur la durabilité», souligne Ouazzani, expliquant que le choix d’une destination croisière repose sur des critères comme la sécurité, la perception des populations et des outils d’intelligence pour évaluer la satisfaction. «Nous avons un contact permanent avec les armateurs pour échanger sur les meilleures pratiques», ajoute-t-il, précisant que Tanger vise à éviter le surtourisme, comme à Dubrovnik ou Malaga, en misant sur un tourisme de qualité.
Il faut diversifier!!
Tanger Med Zones, c’est 1.400 multinationales installées sur 5.000 hectares, dont 3.000 opérationnels, générant 130.000 emplois. En 2024, le volume d’affaires a atteint 174 milliards de dirhams, soit 25% des exportations marocaines. L’automobile domine avec 150 équipementiers et l’usine Renault-Nissan (400.000 véhicules/an), affichant un taux d’intégration de 65%. «Nous devons diversifier», insiste Ahmed Bennis, citant l’aéronautique et le textile, boosté par un investissement de 2 milliards de dirhams du groupe Sunray (8.500 emplois). Les TPME locales profitent de cet élan, mais doivent s’adapter à une concurrence mondiale accrue.
«Pas d’usines partout, mais un élan pour le rural»
Coopératives et plateformes de commercialisation boostent les produits locaux, avec un impact réel, notamment pour les femmes. «Ces initiatives ont des résultats extraordinaires, surtout pour les femmes, avec un impact tangible», précise-t-il, évoquant des projets qui favorisent l’économie sociale et solidaire. Un investissement de 190 millions de dirhams finance deux centres de formation et une Cité des Métiers, renforçant les compétences là où elles manquent. «Pas d’usines partout, mais un élan pour le rural», insiste-t-il, plaidant pour un développement qui inclut les zones montagnardes et rurales.
Le CRI complète cet effort en soutenant les TPME rurales dès l’idéation, via des programmes comme le Territorial Development Challenge ou la plateforme digitale Investinger, qui orientent les entrepreneurs vers des formations ou des financements adaptés. Younes Tazi, directeur général du CRI de Tanger, a d’ailleurs rappelé lors du premier panel l’importance des compétences dans l’attractivité régionale. Il a également insisté sur la rationalité des décisions d’investissement: «Aujourd’hui, la décision d’investir n’est pas émotionnelle, elle s’appuie sur des comparatifs, des KPI, des indicateurs de performance, des critères précis que les entreprises mettent en concurrence d’une région à l’autre.»
Tanger, une destination qui séduit

Tanger s’impose comme une destination incontournable pour les investisseurs, et Younes Tazi, directeur général du CRI TTA, en explique les raisons. «Le cadre de vie, la position à 14 km de l’Europe, les infrastructures et les compétences disponibles sont des atouts majeurs», affirme-t-il, soulignant que la région combine une localisation géostratégique unique avec des infrastructures de classe mondiale, comme le premier port méditerranéen, Tanger Med, ou encore le TGV, pionnier en Afrique. Une enquête menée auprès des investisseurs étrangers confirme ces critères, ajoutant que la maturité des écosystèmes économiques locaux joue un rôle clé dans leur choix d’implantation. Du même avis, Jamil Ouazzani, directeur marketing et intelligence stratégique du port de Tanger Ville (SGPTV SA), met en lumière la transformation de la ville, qui renforce son attractivité. «Le TGV, les projets de métropole et la restauration de la médina ont redessiné Tanger, attirant des événements d’envergure comme Iron Man ou Art Explora, qui a accueilli 100.000 visiteurs, dépassant même Marseille», raconte-t-il avec fierté. Il évoque aussi des initiatives comme le premier tour du monde à la voile, parti de Tanger, qui a marqué les esprits à l’échelle mondiale, ou encore la gestion des ferrys, avec une traversée de 45 minutes vers l’Espagne et un taux de satisfaction de 99%, fruit d’une gestion rigoureuse des flux et d’une écoute attentive des clients. Mais Tanger doit aussi gérer sa réputation: «À l’ère des réseaux sociaux, les fake news peuvent nuire à l’image de la destination», prévient-il, plaidant pour une communication proactive afin de contrer ces défis et de consolider l’attractivité de la ville, notamment en valorisant son hospitalité marocaine et son positionnement unique comme porte de l’Afrique.
Radia LAHLOU