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Les enfants dans la guerre: Regards sur un siècle de conflits

Par Manon PIGNOT | Edition N°:6888 Le 15/11/2024 | Partager

Manon Pignot  est Maîtresse de conférences en histoire contemporaine, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

Plus de 460 millions d’enfants vivent aujourd’hui dans des zones de conflits, selon les estimations de l’Unicef. De l’Ukraine à Gaza, leurs images défilent sur Internet et dans les journaux télévisés. Mais au-delà des discours tenus par les adultes, comment entendre leur voix et saisir la diversité de leurs vécus? Comment l’histoire peut-elle nous aider à prendre du recul sur l’actualité? Entretien avec Manon Pignot, co-directrice de l’ouvrage Enfants en guerre, guerre à l’enfance?, publié en octobre 2024 aux éditions Anamosa et qui accompagne l’exposition du même nom organisée par la Contemporaine en 2024-2025.

Est-ce une caractéristique des conflits contemporains que de mener une «guerre à l’enfance»? Les enfants sont victimes des guerres depuis qu’elles existent, ce n’est pas une spécificité du XXe siècle. Mais, à partir de la Grande Guerre, les civils deviennent des cibles à part entière. Des villes sont par exemple bombardées sans but militaire explicite mais dans l’objectif d’atteindre le moral des troupes. Cela va de pair avec l’idée d’une guerre totalisante où chacun aurait un rôle à jouer dans l’effort de guerre: on considère – et c’est l’autre nouveauté – que l’engagement des combattants doit être soutenu par les efforts des civils, enfants inclus. Quelle forme cette mobilisation des enfants en temps de guerre prend-elle?

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Cette mobilisation est plurielle. Pendant la Première Guerre mondiale, dans tous les pays belligérants, on assiste au développement d’une propagande adressée aux enfants, invités à œuvrer pour la victoire à leur niveau, en travaillant bien à l’école, en aidant leurs mères à la maison ou encore en se tenant convenablement. Au-delà de cette mobilisation idéologique, on demande aux enfants des efforts matériels, avec une dimension sacrificielle. Il s’agit d’accepter de se priver d’un certain nombre de denrées, par exemple, ou de consacrer leur temps libre à des œuvres de charité pour les soldats. Enfin, pendant la Grande Guerre, il a aussi existé une mobilisation militaire, mais qui n’est pas officielle, c’est ce que j’ai expliqué dans L’appel de la guerre. Un certain nombre d’adolescents – et, à l’Est, d’adolescentes – ont entendu l’appel à la mobilisation totale et ont tenté de rejoindre le front spontanément.

La souffrance des enfants, notamment la souffrance psychologique, reste sous-estimée selon la psychiatre Marie-Rose Moro. Que nous dit l’histoire à ce sujet? C’est une réalité ancienne qui s’explique notamment par la méconnaissance des principes même de la psychologie. Il ne faut pas oublier que la psychologie de l’enfant et la pédopsychiatrie sont des disciplines qui se construisent au cours du premier XXe siècle. Jusqu’aux années 1940, on a tendance à s’inquiéter surtout des souffrances matérielles, de la faim, du froid, des blessures et autres douleurs physiques. S’ils sont vraisemblablement pris en compte à l’échelle individuelle, au sein des familles, la disparition d’un père au front et le deuil qui suit sont des chagrins qui ont du mal à s’exprimer collectivement.

Prise en charge des enfants

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Après la Seconde Guerre mondiale, l’idée que la prise en charge des enfants doit aussi tenir compte de la dimension psychique s’est imposée. Mais, à l’inverse, dans les années 1950, comme les organisations humanitaires ont besoin de continuer à lever des fonds pour justifier leurs actions, elles vont avoir tendance à mettre particulièrement en avant la figure de l’enfant victime et à présenter tous les enfants comme des victimes de la guerre. Or les sources nous montrent qu’il n’y a pas une seule expérience enfantine de la guerre et c’est ce que soulignent d’ailleurs les travaux de Camille Mahé. Il y a des expériences d’intensité et même de nature très variable. Considérez deux enfants de dix ans en France, en 1942, leurs vécus seront très différents. Un enfant qui vit à la campagne subit bien sûr le temps de la guerre mais ne va pas connaître les privations alimentaires massives des villes. Si son père n’est pas prisonnier de guerre, il ne va pas faire l’expérience de la séparation. S’il n’est pas juif, il ne va pas faire l’expérience de la persécution. Notre rôle d’historiennes et d’historiens est de montrer cette diversité des expériences pour redonner à chacune sa profondeur, son importance, ses implications. Si l’on part du principe que tous les enfants sont victimes, d’une certaine manière, cela dévalorise le statut de ceux qui sont vraiment victimes. Cette diversité des expériences enfantines est-elle mieux prise en compte aujourd’hui? Aujourd’hui, on se trouve face à un paradoxe. Depuis 1945, les droits de l’enfant ont fait des progrès colossaux, à l’échelle internationale puis dans les législations nationales. On a pris conscience de la nécessité de protéger cette catégorie d’âge et, d’un point de vue pragmatique, en particulier pour le monde occidental, les préoccupations quant au renouvellement des générations incitent à préserver ce qui apparaît de plus en plus comme un trésor démographique.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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