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Kenya: Le long chemin pour l’accès aux droits fonciers des femmes

Par L'Economiste | Edition N°:6721 Le 11/03/2024 | Partager
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Temea Mwendwa aide une fille à attacher des récipients d’eau sur un âne à Kukululo Township dans le comté de Kitui, au Kenya. Les habitants utilisent des ânes pour transporter l’eau (Ph. Pius Maundu pour Nation Media group)

Depuis plus d’une décennie, le Kenya met en place des mesures pour garantir les droits des femmes à la propriété foncière. Les bénéfices se sont répercutés sur l’économie et la société, même s’il reste encore beaucoup à faire.

En mars 2023, Hellen Mwende a senti que quelque chose n’allait pas lorsque des hommes étranges ont commencé à affluer sur son terrain à Mua Hills, dans le comté de Machakos. «En l’espace de deux mois, des personnes que je n’avais pas invitées ont commencé à se présenter à ma porte un week-end sur deux. Ces visiteurs me posaient des questions très précises sur l’histoire du terrain que j’habitais depuis plus de 20 ans. Ils me donnaient également très peu de détails quand je leur posais des questions sur leurs intentions», se remémore-t-elle.

En juillet de la même année, cette mère de six enfants âgée de 53 ans a appris que son mari, qui travaillait à Mombasa, venait d’épouser une seconde femme et avait vendu les cinq hectares de terre qu’ils avaient achetés ensemble, 25 ans plus tôt.

«Je ne me suis pas affolée. J’ai poursuivi en justice mon mari et l’acheteur pour violation de la loi. Mon époux ne m’avait pas consulté avant de vendre le terrain», explique-t-elle.

Une décennie auparavant, Hellen Mwende n’aurait pas eu le droit d’intenter une action en justice. Toutes les terres qu’elle avait achetées avec son mari auraient légalement appartenu à ce dernier, et il aurait pu les vendre sans son consentement.

En novembre 2013, le Parlement kényan a adopté la loi sur les biens matrimoniaux, qui a changé la donne en accordant aux femmes de nouveaux droits en matière de propriété foncière. Elles ont désormais le droit de refuser la vente des terres qu’elles ont achetées conjointement avec leur mari. Hellen Mwende attend actuellement la décision de justice, pour empêcher son mari de vendre leur terrain à son détriment à elle.

Selon une enquête démographique et sanitaire réalisée en 2022 par le bureau national des statistiques au Kenya, les femmes sont à la tête d’environ 36% des ménages dans les zones rurales et 33% des ménages dans les zones urbaines. Pourtant, seulement 3% des femmes au Kenya possèdent des titres de propriété individuels, tandis que 20% possèdent des titres de propriété conjoints avec leur époux ou partenaire.

Marquer une rupture avec l’impératif historique

Bien que le nombre de femmes propriétaires soit encore faible, il marque une rupture avec l’impératif historique selon lequel les femmes en Afrique – y compris au Kenya – ne possédaient ou ne revendiquaient généralement pas de terres. Au Kenya, le droit des femmes à posséder, hériter, gérer ou disposer de leurs biens est depuis longtemps remis en cause par des pratiques coutumières qui n’accordent aux femmes que des droits secondaires à la terre et à la propriété par l’intermédiaire de parents masculins.

La loi de 2013 sur les biens matrimoniaux a garanti aux femmes un certain nombre de droits. Les femmes peuvent désormais acheter et enregistrer des terres individuellement, et peuvent également hériter des terres de leurs parents; auparavant, les terres devaient être divisées en parts égales entre tous les enfants.

La loi prévoit également pour les femmes un droit de regard égal concernant les terres achetées et vendues en leur nom et, dans le cas de mariages polygames, chaque épouse a droit à une partie de la terre en fonction de sa contribution à l’achat et à l’entretien de celle-ci. Lors de la répartition des terres après un divorce, la loi prend désormais en compte des facteurs tels que les contributions non monétaires d’une femme, comme le travail domestique, la gestion du foyer, la garde des enfants et les travaux agricoles. Ces facteurs lui donnent droit à une plus grande partie, voire la totalité, des terres du couple.

Le Kenya dispose d’un cadre juridique complexe, avec plus de 75 lois relatives à la propriété foncière et à l’accès à la terre. Afin d’harmoniser le cadre juridique de la propriété foncière et des conditions d’accès à la terre pour les femmes, le gouvernement kényan a adopté ces dernières années des lois visant à garantir aux femmes le droit à la propriété; il a également abrogé plusieurs lois discriminatoires. La Constitution kényane de 2010 prévoit que les parties au mariage ont des droits égaux au moment du mariage, pendant le mariage et lors de la dissolution du mariage.

La loi sur le mariage prévoit que tous les mariages soient effectivement déclarés et donne aux femmes une base juridique pour faire valoir leurs droits à la propriété foncière. La loi sur les biens matrimoniaux protège les droits des femmes sur les biens acquis pendant le mariage, et la loi sur l’enregistrement foncier s’y réfère. La loi sur les biens fonciers offre aux époux une certaine protection contre la location ou la vente de leur maison ou de leur terre à leur insu. La loi sur les successions accorde aux enfants de sexe masculin et féminin les mêmes droits en matière d’héritage.

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Pauline Kongo montre une tête de tournesol séchée dans le village de Makwenye, dans le comté de Kitui. Elle les utilise pour nourrir les poulets (Ph. Pius Maundu pour Nation Media group)

Faciliter la planification et le zonage des terres 

Malgré tous ces progrès, des efforts restent à faire pour garantir l’accès à la terre et les droits à la propriété foncière des femmes. Husna Mbarak, responsable du programme foncier numérique pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, explique qu’il existe des lacunes politiques et un manque de données adéquates sur la propriété foncière dans le pays. «Selon nos estimations, moins de 2% des Kényanes possèdent des terres. Dès que nous passerons au numérique et que nous disposerons de toutes les données, cela facilitera la planification et le zonage des terres  pour les activités agricoles ou les investisseurs».

«L’experte en politique foncière appelle à une application plus stricte des lois, notamment la loi régissant mariage, ainsi qu’à des interventions visant à garantir une meilleure utilisation des terres et un meilleur suivi des titres de propriété».

Il faut revoir les commissions de contrôle foncier. Les processus de transfert des terres devraient également être revus, afin que nous disposions de méthodes de vérification adéquates. Lorsque vous êtes un homme et que vous voulez vendre une terre, vous pouvez vous présenter à la commission de contrôle foncier avec une femme, sans aucun moyen de vérifier s’il s’agit de la véritable épouse. Par ailleurs, les lois ne suffisent pas à garantir l’accès à la terre pour les femmes. L’efficacité des lois dépend de la connaissance que l’on en a, de la capacité à les faire appliquer, mais aussi de la mesure avec laquelle les normes culturelles et les traditions sont pratiquées et suivies en lieu et place des lois formelles. Ainsi, même avec ces nouvelles lois en place, des obstacles tels que les traditions culturelles et le manque de sensibilisation empêchent encore de nombreuses femmes d’accéder à leur juste part de terre et de propriété, en particulier dans les cas d’héritage.

Les stéréotypes culturels concernant la propriété foncière des femmes ont eu un impact négatif qui s’est répercuté sur l’économie et la société. Tout d’abord, les femmes dépourvues de droits fonciers et de propriété sont économiquement vulnérables et sujettes à la pauvreté, ce qui les oblige à dépendre de leur conjoint ou de membres masculins de leur famille pour survivre. Cela les rend plus exposées à la violence domestique et les place dans l’incapacité de quitter des relations abusives ou de négocier des rapports sexuels protégés, ce qui les expose à un risque élevé de contracter le VIH.

                                               

Quelques chiffres

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Les femmes rurales garantissent la sécurité alimentaire de leurs communautés, améliorer la résistance aux changements climatiques et renforcent leurs économies. Pourtant, les inégalités entre les sexes, comme les lois et les normes sociales discriminatoires, associées à un paysage économique, technologique, environnemental en pleine mutation, les empêchent de réaliser leur plein potentiel, les laissent loin derrière les hommes et leurs homologues vivant en milieu urbain. En moyenne, les femmes représentent 40% de la population active agricole dans les pays en développement, ce pourcentage oscillant entre 20% en Amérique latine et 50% ou plus dans certaines régions d’Afrique et d’Asie. Moins de 15% des propriétaires terriens dans le monde sont des femmes.

Source: ONU Femmes

                                               

La terre, également un bien social essentiel à l’identité culturelle

La garantie des droits fonciers peut ouvrir la voie pour que les femmes s’émancipent et agissent, et peut favoriser la prospérité économique et le développement humain des générations futures. Selon la Banque mondiale, le fait que les femmes aient accès à la propriété et au contrôle de la terre, ainsi que d’autres actifs, a des répercussions importantes sur la mobilité économique, car cela leur confère une valeur économique supplémentaire, un statut, un pouvoir de négociation au niveau du foyer et une résilience du ménage. La possession d’actifs peut offrir aux femmes une protection en cas de dissolution du mariage ou d’abandon, influencer positivement leur position au sein de leur foyer et réduire leur vulnérabilité à diverses formes de violence ou de discrimination.

L’accès à la terre peut également leur fournir une sécurité alimentaire et un revenu, leur permettre de bénéficier d’un crédit et d’investir dans l’avenir. La terre est également un bien social essentiel à l’identité culturelle, au pouvoir politique et à la participation à la prise de décision.

Le fait que les femmes bénéficient d’un accès égal à la terre relève des droits de l’humain et présente de nombreux avantages. Les faits montrent que ces droits réduisent la violence domestique et que les femmes qui possèdent des terres sont plus à même de sortir d’une relation violente et de négocier des rapports sexuels protégés. La production agricole et la sécurité alimentaire augmentent également lorsque les femmes bénéficient d’une sécurité foncière.

Par Millicent Mwololo

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Cette publication fait partie du programme «Vers l’égalité», dirigé par Sparknews, une alliance collaborative de 16 médias internationaux mettant en lumière les défis et les solutions pour atteindre l’égalité des sexes.

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