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Lutte contre les violences sexistes: Le modèle espagnol

Par L'Economiste | Edition N°:6718 Le 06/03/2024 | Partager

Depuis une vingtaine d'années, l'Espagne a engagé des réformes pour lutter contre les violences à l'égard des femmes. Ce pays est aujourd'hui considéré comme un modèle pour les autres pays européens.

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Manifestation à Madrid pour la journée internationale de la femme (8 mars 2018) (Ph. Olmo Calvo)

Espagne fait figure de pionnière dans la lutte contre les violences sexistes. La législation complète et le vaste système de collecte de données mis en place par le pays servent de référence aux responsables politiques étrangers qui cherchent des solutions pour résoudre ce problème.

Le système n'a cessé de se perfectionner depuis plus de vingt ans, à une époque où les violences sexistes étaient ignorées par la société tout entière ou assimilées à des «crimes passionnels». Cela a pris une dimension nationale en 1997, lorsque l'Andalouse Ana Orantes a soudainement mis un visage, un nom et une voix sur ce phénomène omniprésent : la sexagénaire a participé à l'émission De tarde en tarde sur Canal Sur TV et a raconté l'enfer qu'elle avait enduré pendant 40 ans aux côtés de son mari, José Parego, un homme violent. 13 jours après son passage à la télévision, José Parego l'assassinait brutalement.

Cette affaire a choqué la nation. Au cours des années qui ont suivi, Ana Orantes est devenue un symbole national, et son cas a contribué à promouvoir des réformes législatives qui allaient faire de l'Espagne un leader dans l'adoption et la mise en œuvre de politiques publiques pour combattre les violences sexistes commises par des conjoints ou des ex-conjoints. La réforme la plus médiatisée est la loi intégrale de 2004 contre les violences à caractère sexiste, souvent considérée comme la pièce de résistance faisant partie intégrante du succès de l'Espagne.

François Kempf est membre du secrétariat du Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) du Conseil européen, qui veille à ce que les États membres respectent la Convention d'Istanbul. Il s’agit d’un traité relatif aux droits de l'homme contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Selon François Kempf «l'approche globale de l'Espagne fait figure de pionnière dans la lutte contre les violences sexistes». Il s'appuie sur la loi de 2004, qui a été complétée par «des amendements ultérieurs des lois et des politiques existantes qui ont démontré un engagement au plus haut niveau politique, pour mobiliser la société afin de faire avancer cet objectif».

Bien que des mesures telles que les nouvelles réglementations relatives aux ordonnances restrictives aient été approuvées sous le gouvernement du Parti populaire de José María Aznar, c'est le gouvernement du PSOE de José Luis Rodríguez Zapatero qui a élaboré le cadre général qui est actuellement en place.

La loi a jeté les bases d'un système complet qui protège et prend en charge les victimes par l'intermédiaire de tribunaux spécialisés, d'une assistance sociale et professionnelle, d'une aide psychologique, de services d'information et de consultation. Le préambule de la loi présente également une avancée cruciale: la reconnaissance des violences sexistes comme étant des actes qui non seulement «touchent à la sphère privée» mais constituent également «un symbole brutal d'inégalité» entre les hommes et les femmes, infligée à ces dernières «pour le seul fait d'être une femme».

Noelia Igareda, professeure de philosophie du droit et spécialiste des questions de genre à l'université autonome de Barcelone, explique pourquoi cela est si important. «Il est indéniable, sous un angle comparatif, que l'Espagne fait désormais figure de référence internationale dans ce domaine. Ce qui tend à marquer la différence entre l’Espagne et d’autres pays, c’est que nous utilisons explicitement le terme de violences sexistes, alors que dans d'autres États membres, comme l'Allemagne, on parle encore de violences domestiques qui sont exclusivement liées à la sphère familiale... Il est essentiel de renommer cette violence, afin de donner un aperçu général des questions structurelles et sociétales qui l'alimentent».

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Depuis 2019, à titre d'exemple, le système VioGén, auquel les services de police ont recours pour procéder à l'évaluation des risques pour les victimes et au suivi qui s'ensuit, a suscité l'intérêt de visiteurs venus de France, d'Argentine, du Brésil, d'Ukraine, d'Allemagne, du Royaume-Uni, d'Égypte, de Suisse, de Turquie et bien d'autres pays encore (Ph. AFP)

La collecte de données spécialisées est un autre aspect essentiel qui distingue l'Espagne de ses pairs. Lancée officiellement en 2003, la collecte de données ne recensait que les décès de femmes causés par leurs conjoints ou ex-conjoints masculins, soit plus de 1.200 à ce jour. D'autres systèmes ont depuis été mis en place pour enregistrer des informations détaillées concernant les plaintes, les condamnations et les ordonnances de protection.

Teresa Nevado, ex-membre du comité exécutif du Lobby européen des femmes et actuelle secrétaire générale de la délégation espagnole, explique: «nous avons entrepris d'enregistrer des données spécifiques à une époque où d'autres pays ne le faisaient pas. Et nombre d'entre eux n'avaient pas et n'ont toujours pas adopté une loi aussi complète que la nôtre pour lutter contre la violence à l'égard des femmes».

Les délégations étrangères désireuses d'en savoir plus sur le système espagnol sont devenues chose courante. Depuis 2019, à titre d'exemple, le système VioGén, auquel les services de police ont recours pour procéder à l'évaluation des risques pour les victimes et au suivi qui s'ensuit, a suscité l'intérêt de visiteurs venus de France, d'Argentine, du Brésil, d'Ukraine, d'Allemagne, du Royaume-Uni, d'Égypte, de Suisse, de Turquie et bien d'autres pays encore. Les visiteurs veulent également en savoir plus sur le numéro d'appel d'urgence espagnol 016 pour les victimes de maltraitance et de violences sexistes, disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, ainsi que sur les «bracelets de contrôle» pour les auteurs de maltraitance. Pendant leur séjour, de nombreux délégués s'entretiennent également avec des membres de la délégation gouvernementale contre les violences sexistes.

François Kempf, membre du GREVIO, précise que la réponse coordonnée du gouvernement espagnol concernant les violences sexistes est un autre aspect distinctif de ce pays ; comprenant un vaste réseau de services disponibles aux niveaux régional et municipal, ainsi que des tribunaux et des unités de police spécialisées. Il ajoute que ce qui distingue véritablement l'Espagne, c'est son approche globale et la reconnaissance de la «nature sexiste» de certains types de violence «bien des années avant» l'entrée en vigueur de la Convention d'Istanbul en août 2014. Une étude réalisée par GREVIO en 2020 a constaté que c'est précisément ce manque de perspective de genre, dans les enquêtes sur les crimes contre les femmes, qui constitue un échec pour des pays tels que la Belgique, la France, Malte, le Monténégro, les Pays-Bas, le Portugal et la Serbie.

Des défis encore

L'Espagne a dû surmonter de nombreux obstacles avant d'arriver là où elle en est actuellement, pourtant elle doit encore faire face à des défis. Après l'adoption de la loi globale de 2004, de nombreux recours juridiques ont affirmé que la législation était discriminatoire à l'égard des hommes. Ces objections persistent à ce jour, bien que la Cour constitutionnelle ait déclaré la loi conforme en 2008. Les experts affirment par ailleurs qu'il reste un long chemin à parcourir avant que l'Espagne puisse garantir une protection et un soutien complets aux victimes de violences sexistes. Dans une évaluation réalisée en 2020, Grevio a par exemple mis en évidence les «lacunes» de l'Espagne en ce qui concerne «la sécurité des femmes et des enfants» et des victimes de violences sexistes lors des décisions relatives à la garde des enfants ou aux droits de visite. Les Nations unies ont également souligné ce problème, reprochant au système judiciaire espagnol de ne pas protéger les mineurs contre les «pères abusifs». Néanmoins, la principale préoccupation concerne la protection insuffisante, en termes de soutien et d'aide psychologique, des victimes de violences à caractère sexiste commises sans la participation d'un conjoint ou d'un ex-conjoint.

Selon Noelia Igareda, il y a incontestablement un «travail inachevé» en Espagne, et elle continue à faire pression pour que les politiques publiques qui existent sur le papier «soient mises en œuvre dans leur intégralité». «Ce que nous avons par écrit est très avancé, mais cela doit être accompagné de ressources, d'une formation à la perspective de genre, d'une assistance aux victimes et aux mineurs et de dédommagements. Les victimes doivent être entendues, écoutées et crues, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui», déclare-t-elle.

                                                                              

«Solo sí es sí» (Seul un oui est un oui)

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GREVIO (Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique) prévoit de publier un autre rapport sur l'Espagne cette année, afin de déterminer les mesures qui ont été mises en place depuis la dernière évaluation du pays, en se concentrant notamment sur la question du «renforcement de la confiance en apportant soutien, protection et justice aux victimes». Ces mesures englobent la loi «Solo sí es sí» (Seul un oui est un oui) du ministère de l'égalité sortant et la création d'un cadre global de prise en charge des victimes d'abus sexuels. Des services tels que le 016 ont également été étendus à d'autres formes de violence exercée par des hommes ; tous les féminicides sont désormais officiellement enregistrés, qu'ils se produisent ou non au sein d'un couple; et les accusations du syndrome d'aliénation parentale ne sont plus admises par les tribunaux.

Le renouvellement en 2021 du pacte d'État contre les violences sexistes représente un nouveau progrès; cet accord novateur a été soutenu par tous les grands partis, à l'exception de Vox. L'extrême droite a toujours nié l'existence des violences sexistes et continue d'exiger l'abrogation de la loi globale de 2004. Le parti s'est renforcé ces dernières années et, bien que Vox ait moins de représentants au Congrès qu'il y a quatre ans, il a fait d'importantes percées dans les gouvernements régionaux autonomes et les conseils municipaux avec l'aide du Partido Popular. Bien que le PP ait soutenu le Pacte, celui-ci est parvenu à satisfaire ses alliés d'extrême droite en signant récemment des accords avec Vox qui soutiennent, du moins en partie, son discours fondé sur le déni.

Il reste à voir comment tout cela va se dérouler, mais les experts avertissent que ces évolutions constituent une véritable menace. «Dans la mesure où l'extrême droite peut prendre des décisions affectant les dépenses publiques au sein des gouvernements régionaux et locaux, elle peut également décider de ne pas investir ou de réduire les investissements destinés au réseau d'assistance, de protection et de services publics», explique Noelia Igareda. «Ils refusent d'admettre l'existence des violences sexistes; il est évident que cela aura un impact».

Par Marta BORRAZ

El Diario ES

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«Cette publication fait partie du programme «Vers l'égalité», dirigé par Sparknews, une alliance collaborative de 16 médias internationaux mettant en lumière les défis et les solutions pour atteindre l'égalité des sexes.