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Les «open universities»: une autre vision de l’enseignement à distance

Par Dr Emilie Remond | Edition N°:6079 Le 26/08/2021 | Partager

Dr Emilie Remond est chercheuse associée au laboratoire TECHNE, Université de Poitiers

En ces temps bouleversés par la pandémie mondiale, les systèmes scolaires se sont vus contraints du jour au lendemain d’assurer, bon an mal an, une «continuité pédagogique» et l’enseignement à distance, jusque-là assez confidentiel et réservé à des situations spécifiques comme la maladie, a concerné tous les élèves, du primaire au bac et au-delà. Alors que cette transition a été souvent plus subie qu’acceptée, se heurtant notamment à des difficultés techniques, il est intéressant de se pencher sur les universités ouvertes.

Ce dispositif qui existe depuis plus de cinquante ans et a toujours fonctionné à grande échelle est principalement dédié à un autre public, celui des adultes en formation professionnelle. Cependant, son histoire nous rappelle que l’enseignement à distance s’accommode effectivement mal de l’improvisation.

Comme tout système, il est à comprendre dans un contexte d’émergence lié à des décisions politiques. Il s’inscrit dans une organisation, dans une histoire, dans une culture professionnelle particulière qu’il est difficile de reproduire sans en comprendre les fondements. Le nombre d’open universities reste incertain tant il est difficile de les définir selon des critères homogènes. On peut cependant les estimer à soixante-dix, dont près des deux tiers en Asie.

Ces universités qui visent un enseignement à distance de masse ne trouvent pas réellement d’équivalent dans le paysage français. Elles appartiennent le plus souvent au cercle fermé des méga-universités, dépassant le million d’inscrits, par exemple en Inde, dans le cas de l’Indira Gandhi National Open University qui comptabilise près de 3 millions d’inscrits.

Visant prioritairement la montée en qualification des travailleurs et la démocratisation de l’enseignement pour les populations les plus fragiles, ces universités sont majoritairement publiques et nationales. Elles répondent ainsi à des orientations politiques et sociales.

Ce sont d’ailleurs avec ces perspectives qu’elles ont vu le jour dans les pays en voie de développement, bénéficiant généralement de fonds de la Banque mondiale et du soutien de l’Unesco. Enfin, il s’agit d’institutions contrôlées par une administration centrale et autonome.

Historiquement, la première université ouverte en tant que telle voit le jour au Royaume-Uni en 1969. Le projet, à l’initiative des travaillistes, répond aux revendications d’une jeunesse issue du baby-boom et de la popularisation de la télévision. Avec le soutien de la BBC, l’Open University diffuse massivement des programmes éducatifs radiophoniques et télévisuels. Conçue pour un public d’adultes déjà en situation professionnelle, elle délivre un enseignement à distance sans condition académique d’admission. Tel est principalement le sens du mot «ouvert». Elle propose également un enseignement hybride avec des temps de rencontre entre les étudiants dans des centres régionaux disséminés à travers tout le pays.

Le succès rencontré par l’Open University trouve écho dans les pays du Commonwealth, en Afrique anglophone et en Asie, mais également en Europe. À partir des années 1970, les universités ouvertes vont ainsi se déployer à travers le monde. À chaque université ouverte son contexte politique d’émergence. Tel est par exemple le cas en Tanzanie. À la fin des années 1980, le pays engage ainsi un processus de création d’une université ouverte. Il s’agit de répondre au besoin criant de formation d’un pays à la jeunesse croissante.

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 University of the Philippines Open University (Ph. Wikimedia)

Le projet s’inscrit dans un courant de la pensée socialiste africaine héritière des préceptes de Julius Nyerere. L’université ouverte de Tanzanie ouvre ses portes quelques années plus tard, en 1992, avec l’idée de développer l’autonomie éducative des Tanzaniens. Implantée sur un vaste territoire, elle possède une trentaine de centres régionaux allant jusqu’au Rwanda. Première université à proposer un enseignement ouvert et à distance en Afrique de l’Est, elle détient plusieurs centres régionaux internationaux de coordination au Kenya, en Namibie, en Ouganda et au Malawi. Mais les années 2000 ont vu arriver l’émergence d’internet.

À partir de 2005, l’université ouverte de Tanzanie se lance dans une politique d’intégration du tout numérique pour les enseignements à distance en misant sur des Ressources éducatives libres pour limiter les coûts. Habitués à des dispositifs ne nécessitant pas de connexion (manuels ou CD mis à disposition dans les centres régionaux), peu équipés, les usagers se retrouvent plongés dans des situations de fracture. Ce nouveau système, qui provoque une rupture brutale, contraint les étudiants à des situations de contournement lorsque la connexion fait défaut.

Dans un continent qui voit l’explosion du téléphone portable, c’est souvent lui qui permet de suivre les enseignements et de rester en contact avec le corps enseignant. C’est un système parallèle et informel qui se met ainsi en place. Reste l’espoir des annonces gouvernementales annonçant la connexion du réseau national à la fibre. Tant que la connexion fait défaut, le tout numérique devient contre-productif et détériore un service qui se veut pourtant innovant.

L’université ouverte de Tanzanie a fait ainsi un pari, en misant sur la rationalisation des moyens. Avec la promesse d’infrastructures à venir, l’espoir persiste malgré une colère grandissante. Réduire les coûts tout en offrant des perspectives éducatives aux populations les plus fragiles, tel est également l’objectif qui présida à la création de l’Allama Iqbal Open University en 1974 au Pakistan. Ce sont d’abord les femmes soumises aux contraintes du foyer et du poids de la tradition qui constituent la cible prioritaire de cet enseignement à distance. Elles en constituent la moitié de ses effectifs avec les travailleurs en formation continue. Face à une population fortement rurale, l’université ouverte se rapproche de ses étudiants en créant des centres régionaux.

Cet objectif se rapproche de ceux que l’on peut observer d’autres pays en voie de développement, comme en Tanzanie ou encore en Indonésie. Dans ce pays, ce sont des contraintes géographiques qui ont conduit à la décision de créer une université ouverte au milieu des années 1990.

La question de la distance est en effet au cœur des problématiques de ce pays aux territoires éclatés en dizaine de milliers d’îles. En Indonésie tout comme au Pakistan, la télévision reste un moyen efficace de diffuser des programmes éducatifs en s’affranchissant des difficultés d’accès au numérique. Au Pakistan, un système de production industrielle et de distribution massive de manuels coexiste avec la diffusion de cours en ligne disponibles sur Internet. Difficile, en effet, d’envisager un enseignement numérique quand la pauvreté persiste. Comme le souligne un enseignant pakistanais rencontré lors de nos entretiens:

«Si tu veux participer à une course, tu dois avoir l’estomac rempli»

Toutes les universités ouvertes n’en sont donc pas au même point. Le contexte socioculturel, économique et politique joue effectivement un rôle important dans l’adoption et l’appropriation des nouvelles technologies. Cependant, les ressources et outils en accès libre sur la toile offrent de nouvelles perspectives dont savent pertinemment se servir les pays en voie de développement. Tel est par exemple le cas avec Moodle, plateforme d’apprentissage en ligne libre plébiscitée par ces universités.

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Royal charter of the Open University (United Kingdom) (Ph. Wikimedia)

Dans cette course au numérique, l’Europe n’est pas en reste. Des fonds européens sont ainsi proposés pour permettre la mutualisation de ressources éducatives sur les territoires. L’enseignement à distance est vu comme un moyen de développer la formation continue, en permettant des échanges entre pays européens. Reste que la disparité des langues sur le territoire européen réduit d’autant le spectre possible des étudiants. Par ailleurs, l’éducation ouverte a pris une nouvelle tournure avec la déferlante des MOOC (Massive Open Online Courses, ou CLOM en français, Cours en Ligne Ouverts et Massifs), venue d’Amérique du Nord. Avec le numérique, l’enseignement à distance peut acquérir de nouveaux marchés et renforcer son attractivité.

L’université ouverte de Shanghai l’a bien compris en communiquant sur sa transition numérique et sur ses innovations présentées lors de programmes d’accueil de chercheurs internationaux. Dans les faits, la transition reste plus timide, l’université chinoise visant l’efficacité sur le terrain. Nulle transition brutale: les traditions éducatives persistent parallèlement à des innovations qui se veulent des prototypes servant l’image d’une université au cœur d’une mégalopole bouillonnante. Le changement de paradigme se produit en fait au Royaume-Uni, au sein de l’université ouverte modèle du genre. Les décisions politiques de ces dernières années le prouvent: acquisition d’une plateforme MOOC privée, FutureLearn, visant à se positionner comme leader dans le domaine de l’éducation ouverte sur le web. Mais parallèlement, les centres régionaux, lieux physiques des rencontres en présentiel, sont en partie fermés et un plan social important conduit l’université à se séparer de près de 500 de ses personnels.

                                                                                

La fin du modèle social historique

La politique nationale influence également les nouvelles orientations de l’université qui subit une augmentation des frais de scolarité entraînant une baisse d’effectif. Le modèle social historique de l’université ouverte a vécu: le numérique est venu modifier la notion d’ouverture telle qu’elle était entendue dans les années 1970.

Aujourd’hui, la crise du coronavirus a conduit les universités traditionnelles à se mettre subitement à l’enseignement à distance. Il sera intéressant d’examiner l’impact que cette nouvelle concurrence aura sur les universités qui ont historiquement la distance dans leur ADN. Le passé et le regard porté sur des terrains internationaux pourront encore nous éclairer. Dans les années 2000, la Télé-Université du Québec (Téluq), université à distance, a été ainsi contrainte de fusionner avec l’université du Québec à Montréal (UQAM), la transformant en université d’enseignement mixte.

À la suite de la crise du coronavirus, les universités traditionnelles pourraient également absorber les universités à distance ou conduire à leur disparition progressive. Tels sont les scénarios qui semblent se profiler dans un mouvement d’hybridation généralisé visant la rationalisation des moyens et s’accordant avec de nouvelles modalités de télétravail.

Encore que durant cette crise, les universités ouvertes ont pu aussi jouer de leur expertise historique. Tel a été le cas avec l’université ouverte de Grèce qui a mis dès le mois de mars 2020 à disposition de toutes les universités grecques sa plateforme d’enseignement.

Une belle façon d’affirmer son leadership dans ce domaine. Disparition ou renforcement de ces institutions historiquement dédiées à la distance? L’avenir, tout autant que les décisions locales, nationales et internationales, nous le diront…

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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