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Le Panama face aux prétentions de Donald Trump sur son canal

Par Claire NEVACHE | Edition N°:6973 Le 18/03/2025 | Partager

Claire Nevache est doctorante en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Donald Trump a fait part de sa volonté de remettre la main sur le canal de Panama le 21 décembre 2024, avant même sa prise de fonctions. La date est hautement symbolique pour les Panaméens: ils venaient de commémorer, la veille, les 35 ans de l’invasion états-unienne destinée à renverser le dictateur Manuel Noriega. Cette opération militaire avait causé un nombre de morts, encore incertain aujourd’hui, estimé entre quelques centaines et quelques milliers, ainsi que le déplacement de 20.000 réfugiés. L’intérêt du président des États-Unis pour le canal de Panama reflète une vision de l’ordre mondial où prévaut la force et où les pays périphériques ont vocation à être vassalisés par les puissances régionales.

Au XXᵉ siècle, un canal sous le contrôle des États-Unis

Province périphérique de la Colombie à partir de l’indépendance que cette dernière arrache à l’Espagne en 1823, le Panama tente plusieurs fois d’obtenir sa propre indépendance au cours du XIXe siècle, sans succès. C’est le début de la construction du canal de Panama, en 1881, qui permet au pays d’accéder à son indépendance 22 ans plus tard, au prix d’une perte d’une partie de sa souveraineté. En effet, après l’échec de la tentative française, le projet est cédé aux États-Unis, qui reprennent la construction du canal à partir de 1903 et soutiennent l’indépendance du nouvel État, proclamée cette année-là. Le canal est inauguré à la veille de la Première Guerre mondiale, mais il reste, ainsi qu’une frange de terre de huit kilomètres sur chacune de ses rives, sous le contrôle des États-Unis. Une vingtaine de bases militaires sont installées le long de cette infrastructure, et une centaine dans tout le pays.

Cette enclave, appelée «zone du canal», est alors interdite d’accès aux Panaméens s’ils ne disposent pas de sauf-conduit pour y travailler. Les villes panaméennes qui s’y trouvent sont rapidement déplacées en dehors de la zone. La zone du canal est organisée selon une logique de ségrégation raciale et ses limites coupent le pays en deux. Jusqu’au début des années 1930, les élections panaméennes, ainsi que les mouvements sociaux sont presque systématiquement l’objet d’interventions de la part des États-Unis.

Dans la seconde moitié du siècle, dans le contexte de la décolonisation et de l’essor du Mouvement des non-alignés, la situation du canal et de sa zone devient une source croissante de tensions. En 1959, des étudiants s’introduisent dans la zone au cours d’une opération connue sous le nom d’opération Souveraineté et plantent 75 drapeaux panaméens, immédiatement retirés par les forces de police états-uniennes. Lorsque des manifestants tentent de réitérer l’opération à l’occasion de la fête nationale, le 3 novembre, ils sont durement réprimés. En 1964, des lycéens pénètrent une nouvelle fois dans la zone pour réclamer que le drapeau panaméen y soit hissé aux côtés du drapeau états-unien, comme le prévoyait un accord signé l’année précédente entre les deux pays. Cette fois, la répression fait 22 morts parmi les manifestants, dont plusieurs mineurs.

Cette journée reste marquée pour les Panaméens comme le «Jour des martyrs» et est considérée comme un moment fondamental de la lutte pour la récupération de la souveraineté du pays sur le canal. Celle-ci est finalement scellée par les accords Torrijos-Carter de 1977 des noms du général Omar Torrijos, au pouvoir depuis 1968 suite à un coup d’État, et de Jimmy Carter, alors président des États-Unis. Le traité que Donald Trump a qualifié lors de son discours d’investiture, le 20 janvier 2025, de «cadeau insensé», prévoyait la restitution progressive de la zone du canal à partir de 1979 et celle du canal lui-même en 1999. Ce qui fut fait.

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Le canal, poumon économique du Panama

Aujourd’hui, environ cinq pour cent du commerce mondial transitent par le canal, sous contrôle panaméen depuis 25 ans. En 2024, cela représentait 11.240 bateaux et plus de 210 millions de tonnes de marchandises, générant 3.381 millions de dollars de droits de péage. Les États-Unis sont les premiers utilisateurs mondiaux, avec près de 75% du volume de marchandises en provenance ou à destination de leur territoire. Ils sont suivis par la Chine, avec un peu plus de 20%, et par le Japon.

Pour un bateau naviguant entre l’Asie et la côte orientale (East Coast) des États-Unis, le passage par le canal de Panama permet de raccourcir le trajet d’environ 5.000 km. Par ailleurs, le Panama a massivement investi entre 2007 et 2016 dans la construction de nouvelles écluses permettant d’accueillir des bateaux Neopanamax, ayant une capacité près de trois fois supérieure aux porte-conteneurs antérieurs. Malgré des difficultés liées aux changements climatiques et à la baisse de la disponibilité en eau, les activités du canal représentent environ 6% du PIB du pays et 8% des apports au budget de l’État.

L’annonce par Donald Trump de sa volonté de récupérer le canal de Panama a donc été reçue avec stupeur et incrédulité par la population: il semble impensable de renégocier la souveraineté de la zone de transit, pilier de l’économie du pays et élément fondamental du récit national. Alors que le président des États-Unis a affirmé qu’il n’écartait pas la possibilité d’une intervention militaire, nul n’est capable aujourd’hui de savoir s’il s’agit d’une bravade pour intimider ce pays d’Amérique centrale ou d’une menace sérieuse. Le camp républicain a cependant l’air de le prendre au sérieux. Un projet de loi a été déposé au Congrès pour le rachat du canal de Panama, tandis qu’un autre texte, déposé par un représentant démocrate propose d’interdire l’utilisation de fonds fédéraux pour l’invasion du Canada, du Groenland ou encore du Panama.

Des fake news au service de l’argumentaire de Trump

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Donald Trump a ainsi répété de nombreuses fois depuis le 21 décembre sa volonté de récupérer le canal, en avançant des arguments maintes fois démentis. Il prétend ainsi que 38.000 États-Uniens auraient perdu la vie sur le chantier ; le nombre de morts est en réalité estimé à environ 5.600 pendant la période de construction nord-américaine, dont moins de 400 États-Uniens. La plupart étaient des travailleurs antillais, principalement venus de Jamaïque et de Barbade, mais aussi de Martinique et de Guadeloupe. Donald Trump dénonce également la «bêtise» d’avoir vendu pour un dollar symbolique un actif stratégique aussi important, faisant ainsi passer cet événement pour un simple acte de «générosité» de la part des États-Unis. Par ailleurs, le président a dénoncé les droits de passage, qu’il qualifie d’«arnaque». Selon l’administration Trump, les navires états-uniens, et notamment ceux de la Marine nationale, ne devraient pas payer de droits de passage, compte tenu du rôle historique des États-Unis dans la construction du canal. En réalité, les droits de passage sont les mêmes pour tous les utilisateurs, bien que les États-Unis soient effectivement l’un des principaux contributeurs du fait de leur utilisation du canal.

Un autre argument répété à outrance est la prétendue influence excessive de la Chine sur le canal, qui menacerait désormais la sécurité de la route interocéanique. Une entreprise hongkongaise, CK Hutchison, possédait en effet depuis presque trente ans la concession de deux des cinq ports situés de chaque côté du canal. Toutefois, le gouvernement panaméen rejette l’idée d’un contrôle chinois sur le canal, rappelant que sa gestion est assurée par une autorité publique indépendante. Les démentis de l’administration panaméenne n’ont pas empêché le gouvernement des États-Unis de continuer à réclamer la restitution du canal. Le Panama a été mentionné pas moins de six fois par Donald Trump, lors de son allocution d’investiture du 20 janvier 2025, et Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État des États-Unis, y a effectué sa première visite officielle.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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