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Jour de la nuit: mesurer l’impact de la pollution lumineuse

Par Fabien MALBET - Julien MILLI - - | Edition N°:6866 Le 15/10/2024
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Fabien Malbet est directeur de recherche CNRS en astrophysique, Université Grenoble Alpes (UGA)

Julien Milli est astronome, Université Grenoble Alpes (UGA)

Ce samedi 12 octobre 2024, votre ville ou votre village éteindra peut-être son éclairage public. Chaque année au mois d’octobre, lors du «Jour de la nuit», de nombreuses communes (dont on peut retrouver la carte des extinctions et animations sur le site web de l’événement) participent aux actions de sensibilisation à la protection de la biodiversité nocturne et du ciel étoilé, coordonnées par l’association Agir pour l’environnement. En 2023, environ 300 communes ont procédé à une extinction totale ou partielle. L’objectif de l’opération est d’attirer l’attention du grand public sur les conséquences de la pollution lumineuse, tout en renouant avec la nuit.

Saviez-vous qu’à la fin du XIXe siècle, il était possible d’admirer la Voie lactée dans Paris intra-muros? Actuellement, près d’un tiers de la population mondiale ne peut plus l’admirer, dont 60% des Européens et 80% des Américains du Nord. Une étude récente menée aux États-Unis a montré qu’il existe un lien fort entre l’accès au ciel étoilé, qui permet de s’émerveiller devant l’univers, et l’intérêt et l’engagement pour la science. La pollution lumineuse aurait donc un impact non seulement sur les processus biologiques et écologiques, mais aussi sur le comportement humain, l’enseignement des sciences et la société.

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Les effets de l’édition 2022 mesurés à Grenoble

À Grenoble, notre équipe a quantifié l’effet de la pollution lumineuse à l’occasion du «Jour de la nuit» 2022. Nous avons utilisé une caméra grand-angle du réseau Fripon (pour Fireball Recovery and InterPlanetary Observation Network, normalement utilisé pour détecter l’entrée de corps célestes dans l’atmosphère), installée sur le toit de notre laboratoire et un photomètre Ninox prêté par la société DarkSkyLab. Lors de l’édition 2022 du «Jour de la nuit», nous avons constaté que la lumière émise par le ciel à cause de l’éclairage artificiel des communes de la métropole de Grenoble avait diminué de 10% à 15% par rapport aux mesures effectuées le lendemain dans des conditions météorologiques identiques.

Cette baisse mesurée peut être interprétée comme le fait que peu de communes avaient participé à l’extinction, que seuls 60% du parc de lampadaires grenoblois avait été éteint et que d’autres sources que l’éclairage public contribuent au halo de pollution lumineuse, comme cela a été constaté dans la ville de Tucson en Arizona. Néanmoins, cela a permis de montrer qu’il était possible de quantifier l’impact de l’éclairage public sur le niveau de pollution lumineuse mesuré.

Près d’un tiers de luminosité nocturne en moins en 7 ans

La caméra du réseau FRIPON localisée sur le toit de l’Observatoire des sciences de l’univers de Grenoble (OSUG) fonctionne depuis 2016. Nous avons ainsi pu évaluer l’évolution du niveau de luminance, c’est-à-dire l’intensité lumineuse par unité de surface du ciel, lors des nuits sans nuages et sans lune, dans une unité connue des astronomes: la magnitude apparente par seconde d’arc au carré (sur laquelle on reviendra ci-dessous). Cette mesure montre une baisse de 28% en 7 ans, soit environ 4% par an avec une baisse plus importante entre 2022 et 2023.

La magnitude apparente est une échelle logarithmique établie depuis Hipparque (astronome de l’antiquité) qui permet de mesurer l’éclat relatif des astres. Par définition, l’étoile Véga a une magnitude zéro. La magnitude d’un astre 100 fois plus faible que Véga est de 5, celle d’un astre 10.000 fois moins lumineux vaut 10, et ainsi de suite chaque facteur 10 correspond à un incrément de 2,5 magnitudes. Un ciel sombre correspond ainsi à une magnitude plus grande que 21,5, alors qu’un ciel pollué dans les grandes villes peut avoir une magnitude par secondes d’arc au carré de moins de 19. Dans le cas de la métropole Grenoble Alpes, la magnitude maximale enregistrée est de 19,45 par secondes d’arc au carré.

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Cette évolution de la qualité du ciel est corroborée par les mesures de l’instrument VIIRS, à bord d’un satellite en orbite polaire mesurant la radiance de la surface terrestre de manière continue dans le domaine visible et infrarouge. La figure ci-dessous montre que l’émission lumineuse, mesurée par satellite au-dessus de la région grenobloise, a diminué depuis 2012 au rythme d’un peu plus de 4% par an. Il est donc possible de quantifier l’évolution du niveau de pollution lumineuse sur plusieurs années et ainsi accompagner les collectivités locales dans leurs politiques de réduction de l’éclairage public. Cela permet aussi de vulgariser l’impact de la pollution lumineuse et de généraliser les extinctions partielles, voire totales, dans les communes et territoires.

Ainsi la métropole Grenoble Alpes, en lien avec les Parcs naturels régionaux du Vercors et de Chartreuse et l’espace Belledonne, a généralisé le principe du «Jour de la nuit» en «Mois de la nuit» pendant le mois d’octobre, permettant d’étaler les actions de sensibilisation à l’environnement nocturne sur tout un mois.

                                             

La pollution lumineuse, problématique pour les écosystèmes

La pollution lumineuse est reconnue comme une source de perturbation de l’environnement. En effet, les êtres vivants ont des besoins fondamentaux d’obscurité. C’est le cas évidemment des espèces nocturnes (28% des vertébrés et 64% des invertébrés), crépusculaires ou actives la nuit pendant certaines périodes particulières comme la migration. La lumière peut alors perturber leurs mouvements, leurs comportements ou leur orientation, et cela même pour les plantes et champignons. Une étude de 2024 montre par exemple pourquoi les insectes volants s’attroupent autour des lumières artificielles. Quelles que soient les espèces, l’alternance jour/nuit est un élément structurant de l’évolution du vivant en général, en permettant de synchroniser les horloges circadiennes qui régissent une multitude de processus métaboliques, physiologiques et comportementaux.

Le prix Nobel de médecine 2017 a d’ailleurs récompensé les découvertes autour du rythme circadien, lié à l’alternance jour/nuit. On comprend depuis quelques années que la pollution lumineuse a un impact au niveau des écosystèmes en perturbant les relations entre les espèces. Par exemple, les relations proies/prédateurs ou la pollinisation sont impactées, provoquant des effets en cascade sur des espèces qui n’étaient a priori pas affectés par la lumière artificielle. Pour ces raisons, la lumière artificielle est désormais considérée par les écologues comme une pression anthropique majeure qui contribue au déclin de la biodiversité. La sensibilisation à la pollution lumineuse, portée par des initiatives comme le «Jour de la nuit», met en lumière l’importance de réduire l’éclairage artificiel pour préserver la biodiversité nocturne et redonner au ciel étoilé sa splendeur d’antan.

Les mesures scientifiques récentes montrent que chaque effort compte pour diminuer cette pollution, avec des impacts tangibles sur les écosystèmes et la qualité de l’observation astronomique. En encourageant l’extinction partielle ou totale de l’éclairage public, les collectivités contribuent à un avenir plus respectueux de la nature et des cycles fondamentaux du vivant. Quand cette recherche sera aboutie, il sera intéressant d’appliquer la méthodologie aux plusieurs centaines de caméras Fripon réparties en France et dans le monde. Ce réseau de caméras n’avait pas été mis en œuvre pour mesurer les niveaux de pollution lumineuse, mais il s’avère constituer un précieux outil donnant accès à des années de mesures passées.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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