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«Marche ou crève»
«Marche ou crève» Par Mohamed Ali Mrabi
Le 17/01/2025

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Une nouvelle étude décortique l’origine des mutations génétiques

Par Niklas TYSKLIND | Edition N°:6716 Le 04/03/2024 | Partager

Niklas Tysklind est chargé de recherche en écologie évolutive, Inrae

À l’occasion de la parution dans la revue PNAS de notre article scientifique sur les origines des mutations héritables chez deux espèces d’arbres tropicaux de la forêt guyanaise, plongeons dans le processus fascinant de la mutation. Les mutations sont des modifications accidentelles de l’ADN. Bien qu’accidentelles, les mutations génétiques sont essentielles. En ce sens, la mutation peut même être considérée comme le terreau de l’évolution. Toutes ces modifications contribuent à accroître la diversité génétique des espèces.

Les mutations chez les animaux

Chez les êtres humains, comme chez la majorité des animaux, nous pouvons distinguer deux grands types de mutations: celles qui se produisent sur les lignées cellulaires conduisant à la formation des gamètes (spermatozoïdes et ovules), appelées mutations germinales, et celles qui se produisent sur tous les autres organes, appelées mutations somatiques. Seules celles se produisant sur les lignées germinales sont héritables chez ces animaux, toutes les autres, dites somatiques, sont donc perdues à chaque génération et n’ont donc aucun impact du point de vue de l’évolution.

Les mutations somatiques peuvent avoir différentes origines, soit environnementales en lien avec l’action d’un mutagène (par exemple les UV dans le cas des cellules de la peau), soit intrinsèques, en raison d’une erreur lors de la réplication de l’ADN ou de la réparation d’une de ses cassures. Bien qu’échappant aux règles de l’hérédité, ces mutations peuvent avoir des conséquences importantes pour l’organisme qui les porte, expliquant par exemple la survenue de certains cancers.

Les mutations germinales sont extrêmement rares, mais ce sont elles qui comptent au regard de l’évolution. Il a été estimé que le taux de mutations des humains est de l’ordre de 12 mutations par milliard de bases d’ADN par génération, soit environ 75 mutations nouvelles sur l’ensemble du génome en moyenne. Bien que faibles en nombre, ces mutations peuvent être à l’origine de maladies rares très invalidantes, voire mortelles chez les enfants, en particulier lorsqu’ils touchent des gènes clés de l’organisme.

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Schéma expliquant la différence de transmissibilité des mutations somatiques entre les modèles dits animaux et végétaux, liée à la différenciation précoce (modèle animal) ou tardive (modèle végétal) de la lignée germinale (germen) au cours du développement
Thibault Leroy, Fourni par l'auteur

Les mutations chez les végétaux

Chez la majorité des plantes, en particulier les arbres, l’hypothèse générale est qu’il n’y a pas séparation précoce des lignées cellulaires produisant les gamètes et les autres organes. En effet, la production de tous les organes est assurée par les méristèmes, une population de cellules embryonnaires qui assure la croissance des plantes sur les différents axes de croissance (tronc, branches, racines, etc.). Les cellules reproductives (le pollen et les ovules) sont produites par ces mêmes tissus au bout des axes de croissance, typiquement au niveau des fleurs chez les plantes à fleurs.

La conséquence de cette différenciation tardive des cellules germinales est qu’une mutation se produisant au sein des méristèmes, à un moment donné entre des millions et des millions de divisions cellulaires d’un arbre de plusieurs dizaines de mètres de haut, a in fine une chance d’être transmise à la génération suivante. Par rapport aux animaux, où il n’y a pas que les mutations somatiques non héritables et mutations germinales héritables, les plantes présentent aussi une autre classe: les mutations somatiques héritables. La mutation est d’origine somatique, apparaissant à un moment donné au cours de la croissance de l’arbre, mais dispose d’une probabilité d’être transmise aux descendants.

À la différence des animaux où, étant donné les implications médicales majeures (cancers, maladies rares notamment), la mutation a été plus étudiée, les connaissances sur les mutations des plantes sont très parcellaires. Depuis la publication de la séquence du génome du chêne en 2018, nous savons que ce type de mutation existe, puisque nous avions démontré l’existence de mutations somatiques transmises, en identifiant des mutations somatiques au sein d’un chêne près de Bordeaux et en les retrouvant au cœur du génome des embryons de certains fruits, prouvant ainsi la transmission de ces mutations somatiques à la génération suivante. Ce résultat a ensuite été confirmé par Long Wang et son équipe sur un autre arbre, le pêcher du Tibet.

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Sélection des branches à échantillonner dans la couronne du Grignon franc
Hadrien Lalagüe, Fourni par l'auteur

En ce qui concerne l’origine des mutations, leur accumulation et la fréquence de leur transmission, les inconnues restent majeures chez les plantes. Toutefois, différentes hypothèses prédominent. La première hypothèse, qui est relativement intuitive, est que les arbres de par leur besoin en lumière pour la photosynthèse sont exposés aux UV. Une hypothèse forte est que les UV sont un agent mutagène important des plantes, à l’image de ce qui est déjà bien décrit de l’impact des UV sur les cellules de la peau humaine.

La seconde hypothèse fréquemment avancée est que les mutations somatiques héritables offriraient un excès de mutations avantageuses aux plantes. L’idée est que les plantes pourraient acquérir de nombreuses mutations somatiques avantageuses et ainsi s’adapter «en temps réel» à leurs environnements, ce qui pourrait être particulièrement avantageux pour des espèces à très longue espérance de vie. Cette hypothèse particulièrement panglossienne de l’évolution des plantes s’est beaucoup appuyée sur une interprétation des premiers travaux sur les mutations somatiques des chênes. Elle a été très largement relayée par des magazines de vulgarisation scientifique tels que Science & Vie ou Epsiloon, et même par la prestigieuse société botanique de France.

Comme auteurs de l’article sur les chênes, nous avons alerté sur le fait qu’il s’agissait d’une interprétation erronée de nos travaux et que cette hypothèse était peu vraisemblable, par exemple dans un article publié récemment dans The Conversation. Bien que peu vraisemblable, cette hypothèse nécessite néanmoins d’être rigoureusement testée. La troisième et dernière hypothèse est plus subtile et tacite. Elle nécessite de comprendre qu’un méristème est une population de cellules embryonnaires assurant la croissance des plantes. Au sein de celui-ci, une seule cellule va muter. Au regard de l’ensemble des cellules du méristème, la mutation apparaît donc en fréquence très faible. Ces mutations rares ont longtemps été ignorées par omission ou méconnaissance de la structure des méristèmes et pour des raisons méthodologiques. L’hypothèse tacite était donc que les mutations rares étaient négligeables, notamment pour la transmission à la descendance.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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