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Quelles perspectives pour l’économie africaine en 2023?

Par Françoise RIVIÈRE | Edition N°:6438 Le 24/01/2023 | Partager

Françoise Rivière est responsable de la cellule Economie et Stratégie au sein du département Afrique de l’AFD depuis 2020

L’Afrique a réussi à retrou­ver un rythme de croissance similaire à celui observé avant la pandémie plus rapidement que d’autres écono­mies régionales, y compris certaines économies en développement. Pour autant, les défis restent nombreux, à commencer par le niveau élevé de la dette publique et privée. Les besoins de financement extérieur restent pré­gnants.

Les ressorts de la reprise

Après une récession inédite en 2020 (-1,3%), la croissance réelle pour 2021 a été finalement évaluée à +4,3%, en nette révision à la hausse par rapport aux premières estima­tions. Une partie de la croissance en 2021 s’explique mécaniquement par le rattrapage de la récession enregis­trée en 2020 dans le contexte de la pandémie mondiale (rebond tech­nique).

En dehors de cet effet rebond, la croissance africaine en 2021 est en fait très proche de celle observée en moyenne avant la pandémie (+3 %, contre +3,2% de taux de croissance annuelle moyen pour la période 2015-2019). Elle s’accélère en 2022 pour atteindre 4% selon les estima­tions du FMI (à noter que les chiffres annoncés pour 2022 et 2023 dans cet article reposent sur des prévisions et sont donc amenés à être révisés).

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leconomie-africaine-038.jpg, par hlafriqi

La forte remontée des cours des matières premières a été favorable aux économies extractives africaines: stimulés par la hausse de la demande énergétique, en particulier depuis la Chine, les cours du pétrole et les prix des métaux de base avaient déjà connu une progression sensible en 2021, progression qui s’est amplifiée en 2022 dans le contexte du conflit en Ukraine et de ses conséquences inflationnistes. De manière plus structurelle, les économies les plus diversifiées du continent ont béné­ficié d’un environnement internatio­nal plus porteur au sortir de la pan­démie, suite à l’accroissement de la demande mondiale.

En raison de la croissance démo­graphique, qui reste rapide sur le continent (+2,5% de croissance an­nuelle moyenne entre 2015 et 2020, contre +1,1% au niveau mondial), le rattrapage en termes de PIB par habitant y est bien plus lent. Pour cette raison, l’Afrique ne retrou­vera son niveau de PIB par habitant antérieur à la pandémie qu’en 2023 (graphique 2), quand la plupart des autres régions ont pu le recouvrer dès 2021.

Les économies diversifiées plus résilientes

Au sein du continent, la reprise à partir de 2021 a été surtout portée par les économies les plus diversi­fiées, structurellement plus à même de rebondir en cas de chocs externes. Elles présentent des taux de croissance plus élevés et plus stables sur longue période que les économies plus spé­cialisées, car elles sont moins sou­mises aux fluctuations des marchés des matières premières ou des flux touristiques. Ces économies étaient d’ailleurs parvenues à maintenir un certain dynamisme au plus fort de la pandémie (+1,8% de croissance réelle en 2020), a contrario de la récession enregistrée partout ailleurs.

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Croissance par grandes régions.
FMI, World Economic Outlook Database, octobre 2022

Elles ont renoué en 2021 avec un rythme de croissance assez soutenu (+4,4 %), qui continue à s’accroître en 2022. Estimée à +5,1 %, la croissance des économies africaines diversifiées retrouve quasiment en 2022 son ni­veau moyen d’avant crise, et elle est annoncée à +4,8% en 2023. Six de ces économies diversifiées comptent ainsi parmi les dix économies les plus dy­namiques d’Afrique sur la période ré­cente: le Sénégal, le Niger, le Rwanda, la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Togo.

Entre 2015 et 2019, la croissance des pays exportateurs de ressources extractives est relativement atone et ne permet même plus de cou­vrir la croissance démographique. Bénéficiant de la hausse des cours des matières premières dans le contexte de la reprise mondiale, la croissance moyenne pour les pays pétroliers africains s’est établie à +3,1% en 2021, et accélère légè­rement en 2022. Enfin, en Afrique comme ailleurs, les pays dont l’ac­tivité économique est fortement dépendante du tourisme ont été les plus impactés par la crise sani­taire, en intensité (-7,7% en 2020) comme en durée: après le rebond technique de 2021, la croissance est restée ténue en 2022, à +1,4%, elle ne devrait s’accélérer qu’en 2023, à +3,4% selon les projections actuelles du FMI.

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PIB par habitant par grande région du monde (indice base 100 en 2019)
FMI, World Economic Outlook Database, octobre 2022

Des situations d’endettement dé­gradées et des marges de manoeuvre globalement réduites pour les États. Le rythme de la reprise observée en Afrique depuis 2021 n’est pas suffisamment marqué pour gom­mer les conséquences profondes des crises successives enregistrées par le passé, comme la baisse du revenu par tête dans de nombreux pays, la hausse de la pauvreté et du chômage, etc.

Les fragilités structurelles qui affectent profondément le continent préexistaient, mais se sont ampli­fiées dans la période récente. Au regard de l’important dynamisme démographique que connaît encore la région, le rythme de croissance s’avère insuffisant pour permettre d’améliorer substantiellement l’ac­cès aux denrées alimentaires et aux services de base, de financer les in­frastructures publiques nécessaires et de créer en nombre les emplois permettant d’absorber la main-d’oeuvre arrivant sur le marché du travail. On relève dans ce contexte une diminution de l’indicateur de développement humain (IDH) en 2020 puis encore en 2021, et il est fort probable que les fermetures des écoles et la déscolarisation d’un grand nombre d’enfants observées pendant la pandémie auront un impact supplémentaire sur le volet «éducation» de l’IDH dans les an­nées à venir.

Face à ces enjeux bien identi­fiés, la capacité des gouvernements à agir est désormais pour partie obérée du fait d’un endettement qui s’est rapidement accru et de condi­tions financières nettement resser­rées pour les pays qui ont accès aux financements externes. Plus aucun des 36 pays africains cou­verts par une analyse de viabilité de la dette (ces analyses, conduites par le FMI et la Banque mondiale, couvrent les pays en développe­ment à faible revenu, et éligibles au fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et la croissance) n’est désormais classé en risque faible de surendettement.

De plus, la structure de l’endette­ment a évolué dans un sens qui rend les restructurations de dette beau­coup plus difficiles: en 2022, plus de la moitié de la dette publique est domestique, devant les obligations externes, la part des créanciers bi­latéraux et multilatéraux ne repré­sentant moins d’un cinquième de la dette publique.

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Évolution du PIB réel par catégorie de pays
FMI, World Economic Outlook Database, octobre 2022

                                                                      

Des besoins de financement élevés

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Dans un contexte marqué par l’inflation et le durcissement des conditions de financement sur les marchés internationaux, les besoins de financement du continent restent substantiels. En 2021, le FMI chif­frait à plus de 400 milliards de dol­lars pour la période 2021-2025 les besoins de financement du continent africain, un chiffre sans doute lar­gement sous-estimé dans la mesure où l’inflation se poursuit et où les dépenses «d’urgence», telles que celles visant à limiter les effets de l’insécurité alimentaire ont augmen­té depuis. Les coûts croissants liés à l’adaptation au changement clima­tique s’ajouteront à ces estimations (jusqu’à 50 milliards de dollars par an a minima seront nécessaires).

Le FMI souligne en outre que de nombreux pays d’Afrique subsaha­rienne peineront à simplement ré­pondre aux besoins essentiels de leur population s’ils ne peuvent compter sur un important surcroît d’aide fi­nancière internationale. Et pourtant, les décaissements d’aide publique au développement (APD) ont diminué significativement selon l’OCDE, passant d’un niveau de 4,5% en pourcentage du PIB des pays bénéfi­ciaires dans les années 1990 à moins de 3% plus récemment.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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