×
Piqués au vif
Piqués au vif Par Mohamed Ali Mrabi
Le 25/04/2024

L’océan Atlantique, cet immense espace ouvert sur le monde. Avoir accès à ce carrefour d’échanges économiques et de brassages est devenu au fil des années... + Lire la suite...

Recevoir notre newsletter

L’économie circulaire, cette notion en perpétuelle évolution

Par Lucie WIART - Nicolas BÉFORT - - | Edition N°:6257 Le 10/05/2022
Partager

Lucie Wiart est docteure en sciences de gestion, Neoma Business School

Nicolas Béfort, économie de la transition écologique, Neoma Business School

L’Economie circulaire do­mine aujourd’hui le discours industriel sur le développement durable et serait caractérisée par un triple objectif au regard des déchets: réduction, réem­ploi et recyclage.

Les annonces des entreprises quant au respect de ces objectifs au sein de leurs procédés s’enchaînent. Des marques telles qu’Ikea, Carrefour, ou encore L’Oréal s’engagent de manière plus ou moins ambitieuse, et suivent les avancées juridiques. Depuis le 1er janvier 2022, de nouvelles mesures de la «loi anti-gaspillage pour une économie circulaire» (loi Agec) sont entrées en vigueur, interdisant notam­ment la destruction des invendus non alimentaires.

Sur le site du ministère de la Tran­sition écologique, cette loi est pré­sentée comme visant «à transformer notre économie linéaire, produire, consommer, jeter, en une économie circulaire» et «accélérer le change­ment de modèle de production et de consommation afin de limiter les dé­chets et préserver les ressources natu­relles, la biodiversité et le climat».

L’économie circulaire est ainsi pré­sentée comme «la» solution aux pro­blèmes écologiques, renouvelant les perspectives de soutenabilité et pro­posant de transformer le lien entre nos activités économiques et les systèmes écologiques.

Si ce concept est présent partout, mobilisé par des acteurs divers, c’est surtout que son caractère flexible et flou lui permet d’être adapté et de proposer des solutions «gagnantes-gagnantes», combinant économie et écologie.

L’économie circulaire prend ainsi une part importante du discours plus large sur la soutenabilité. Néanmoins, les réponses apportées aux problèmes écologiques sont liées à la façon dont ceux-ci sont interprétés mettant en jeu notre rapport à la «nature».

Un ensemble de recherches en sciences sociales ont en effet montré que la «nature», et la relation qui nous lie à elle est contingente et construite socialement. La «nature» existe certes matériellement, mais notre rapport à elle est culturel, influençant alors les discours. Par exemple, répondre à la perte de biodiversité sous le prisme de concepts tels que celui de «services écosystémiques» témoignerait d’une volonté de mise sur marché du vivant, et par là, d’une conception néolibérale de la nature.

Dans cette perspective, le terme d’économie circulaire est lui aussi à considérer comme un concept histo­riquement situé.

Croissance verte et découplage

Bien qu’issue en premier lieu de travaux académiques, tels que celui de Kenneth E. Boulding qui, en 1966, opposait «l’économie de cow-boys» à celle du «vaisseau spatial Terre», soucieuse de la rareté des ressources, l’économie circulaire serait désor­mais principalement construite par ses praticiens (entreprises, institu­tions, ONG). Les acceptions en sont certes très diverses, mais les cher­cheurs considèrent néanmoins qu’il en existe une définition «hégémo­nique», dans le sens où cette dernière viendrait à dominer et décrédibiliser les potentielles autres visions. Dans cette acception relativement consen­suelle, l’objectif serait de «découpler» l’usage des ressources naturelles et les impacts environnementaux de la croissance économique, créant la pos­sibilité d’une croissance infinie dans un monde fini. Le déchet devient une ressource supplémentaire dans les procédés de production, nécessaire à la réduction des coûts et à la création de valeur.

L’économie circulaire serait alors devenue un moyen de protéger et normaliser les modes de production et de consommation actuels, qui ne peuvent répondre aux enjeux écolo­giques, l’idée de découplage entre croissance et impacts environne­mentaux ayant été critiquée par de nombreuses études, qui montrent son impossibilité.

Néanmoins, de nombreuses in­terrogations ont émergé face à cette conceptualisation, et à la capacité très limitée d’une telle économie circu­laire à répondre aux enjeux écolo­giques et sociaux. Par exemple, l’effet rebond ou la consommation énergé­tique de la filière recyclage sont mises en avant comme des obstacles à une véritable circularité.

Questionner la croissance

De nombreux chercheurs ont en effet mis en avant la nécessité de développer une approche systémique concernant la croissance et l’idée de découplage. Pour beaucoup, la crois­sance du PIB est incompatible avec une réponse à nos enjeux écologiques. Par l’incapacité d’un système comme le nôtre à échapper à la création de déchets, ces derniers ont cherché à développer de nouvelles compréhen­sions de l’économie circulaire, afin d’y intégrer notamment des questions de justice sociale.

Par exemple, des chercheurs ont montré qu’il existerait aujourd’hui quatre approches de la circularité. Parmi celles-ci, une considérerait l’économie fossile incompatible avec la soutenabilité, et les réponses tech­nologiques insuffisantes à un décou­plage absolu. Une telle approche favoriserait notamment de nouvelles formes de gouvernance.

                                                                   

Une nouvelle conception de l’économie circulaire

Une telle vision pourrait déjà être portée par certaines organisations dites «alternatives». En France, elles feraient notamment partie du champ de l’économie sociale et solidaire. En promouvant la solidarité et la respon­sabilité, de telles initiatives pourraient, par leurs objectifs, construire de nou­velles représentations de l’économie circulaire. Parce qu’elles auraient plus de capacités à innover, et à le faire de manière à questionner le paradigme existant, elles auraient plus de marge de manoeuvre et arriveraient à préfi­gurer un nouvel imaginaire de soute­nabilité, répondant notamment à des enjeux de justice sociale et environ­nementale. Par exemple, en promou­vant une gouvernance démocratique et une non-lucrativité ou lucrativité limitée, l’ESS fournirait un cadre d’action pour une transition socio-écologique locale. C’est dans un tel contexte que le vaste projet européen de recherche

«Blueprint pour une économie circulaire» vient s’inscrire. L’un de ses objectifs sera de comprendre le lien entre entreprises sociales et soli­daires, et le développement d’une économie circulaire, afin de fournir des outils et modèles adaptés à la transition.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

the-conversation.jpg