Au début de l’année 2021, les bonnes nouvelles arrivaient enfin sur le front de la pandémie de Covid-19. Les premiers vaccins étaient disponibles et leur déploiement pouvait commencer à travers le monde, faisant espérer qu’on puisse apercevoir la lumière au bout du tunnel…
Malheureusement, l’euphorie aura été de courte durée, avec l’émergence fin 2020 du variant préoccupant «anglais» (variant of concern, B.1.1.7), nommé plus tard Alpha. Sa transmissibilité augmentée faisait craindre une accélération de la pandémie.
Le variant historique (Wuhan), qui avait cadenassé nos vies du jour au lendemain, avait un nombre de reproduction de base, ou R0, de 3 (chaque personne infectée en pouvait infecter en moyenne trois autres). Les efforts inédits de la population (confinement, etc.) avaient fait descendre ce nombre en dessous de 1, indiquant que chaque malade contaminait moins d’un autre individu, laissant espérer une diminution du nombre de nouveaux cas.
Malheureusement, Alpha avait une transmissibilité environ 50% plus importante que la souche historique, avec un nombre de reproduction de base approchant 5. Puis allait apparaître Delta (identifié en Inde), au nombre de reproduction de base estimé à plus de 5. Chaque nouveau variant, de par sa transmissibilité plus importante, allait ensuite supplanter son prédécesseur.
Si 2020 avait été l’année de l’épidémiologie du Sars-CoV-2, 2021 aura indéniablement été celle de son évolution.
Les virus, comme toute entité vivante, évoluent en permanence. Ils s’adaptent à leur environnement afin de maximiser leur propagation. Mais là où il faut des années pour les espèces de vertébrés, les virus comme le Sars-CoV-2 sont infiniment plus rapide – un million de fois plus rapide que pour nos cellules, par exemple. C’est cette évolution biologique accélérée mais normale et attendue, que le monde entier observe depuis un an.
Le phénomène a été largement documenté sur d’autres virus, tels les virus influenza (grippe). Cela n’est d’ailleurs pas sans poser des contraintes pour le contrôle de ces virus, pour lesquels les vaccins doivent être constamment remis à jour.
Pour adapter nos réponses à ces émergences, il est particulièrement important de garder en tête que la détection de nouveaux variants dans une localité particulière ne veut pas dire qu’ils y sont apparus ni même qu’ils ne circulent qu’à cet endroit. L’exemple d’Omicron est particulièrement criant. Identifié en Afrique du Sud, il a aussi été détecté à Hongkong (confirmé le 15 novembre), au Botswana (confirmé le 24 novembre) et, après avoir commencé à le rechercher, les autorités sanitaires se sont rendu compte qu’il s’était déjà disséminé à travers le monde.
La fermeture des liaisons aériennes aura donc un impact extrêmement limité sur sa propagation… mais peut en revanche pousser de nombreuses autorités à ne plus divulguer ce genre d’informations afin de ne pas en subir les conséquences économiques. Or, lors d’une pandémie, le partage rapide de l’information est la meilleure arme pour préparer et adapter les outils existants, notamment les vaccins et les diagnostics.
Autre point majeur, il est important de bien caractériser les variants: quantifier transmissibilité, virulence et efficacité de l’immunité naturelle ou vaccinale sur les différents groupes de la population vont être déterminants pour adapter une réponse multisectorielle (restrictions, gestes barrières, vaccination, laboratoires d’analyse médicale, préparation des hôpitaux impliquent une coordination de secteurs et de ministères différents).
Depuis le début de l’émergence des variants, le monde redoute trois scénarios: une hausse de la transmissibilité, de la létalité associée à une infection et/ou un échappement immunitaire. Pour l’heure, on a principalement observé des variants avec une transmissibilité augmentée.
Le cas Omicron
Fin novembre 2021, la découverte du variant Omicron a déclenché une alerte mondiale car les premières données laissent à penser que ce variant hautement transmissible provoque plus de réinfections que les autres. Si tel était bien le cas, cela signifierait que, parallèlement à une transmission élevée chez les personnes non immunisées, les personnes précédemment infectées ou vaccinées, seraient également à risque d’être réinfectées.
Avec une transmission très intense et un échappement immunitaire, c’est la pandémie qui redémarrerait – avec son cortège de restrictions. Ce variant ne semble cependant pas associé à une gravité clinique particulière et, actuellement, c’est toujours la 5e vague liée au variant Delta qui peut conduire à une saturation des hôpitaux. Le degré d’observance des gestes barrières et la progression de la couverture vaccinale de rappel auront donc un impact majeur.
Par contre, à court terme, la très forte diffusion d’Omicron au sein de la population non immunisée présentant des facteurs de risque pourrait mettre à mal le système de santé.
Alors que les précédents variants présentaient des évolutions relativement «proches» (quelques mutations en plus), ce variant est particulièrement différent et possède plus d’une trentaine de mutations par rapport à Delta rien que pour la protéine Spike. Une surprise…
L’impact de la population
d’origine dans l’émergence d’un virus
Bien qu’aujourd’hui l’histoire évolutive de ce variant reste inconnue, plusieurs hypothèses semblent possibles, liées à l’environnement dans lequel se trouve le virus.
Tout d’abord, une évolution «graduelle» est bien sûr possible. Les mutations observées ont pu s’accumuler de façon régulière, sans être détectées pendant des mois parce qu’elles n’engendraient pas de changements épidémiologiques majeurs sur la transmissibilité, la létalité ou l’immunité engendrée. En d’autres termes, ce n’est qu’après une certaine accumulation de mutations qu’une combinaison particulière sur le virus a pu représenter un vrai tournant pour notre système immunitaire (dans sa capacité à le reconnaître, etc.)
Ce cas de figure se retrouve particulièrement au sein des populations faiblement vaccinées où le virus peut circuler et parcourir des «paysages adaptatifs» extrêmement compliqués sans être trop freiné – jusqu’à arriver au fameux variant Omicron. Ces «paysages» sont les milliers de combinaisons de mutations que le virus peut avoir avec chacune un impact sur les caractéristiques épidémiologiques compliqué à prédire. Sachant que ce virus possède environ 30.000 paires de bases, cela correspond à plus de 8.1017 combinaisons possibles… Bien sûr, beaucoup de ces combinaisons vont engendrer des virus avec les mêmes caractéristiques ou non viables, mais le champ des possibles reste énorme.
Une autre possibilité, plusieurs fois revenue sur le devant de la scène, est l’implication des longues durées d’infection chez les personnes immunodéprimées.
En effet, certaines personnes atteintes par le Covid, notamment celles ayant un système immunitaire déficient (par exemple atteintes de VIH, de cancers, greffées, etc.), peuvent rester infectées pendant des périodes relativement longues (de plusieurs semaines à plusieurs mois). Or, si le virus évolue quand il se transmet d’un individu à l’autre, il évolue également à l’intérieur des personnes infectées. Ainsi, les patients qui présentent des formes cliniques marquées par de longues durées d’infection peuvent permettre l’accumulation de mutations et ainsi «produire en interne» un nouveau variant différent de ceux circulant dans la population générale. Et qui peut développer «localement» des traits spécifiques adaptés à sa situation propre, notamment une capacité à échapper au système immunitaire.
Extrêmement compliquée à tester, cette hypothèse n’en reste pas moins possible biologiquement parlant. On sait que l’évolution intra-hôte du VIH est extrêmement importante et joue sur la diversité comme sur l’épidémiologie des virus au sein de la population.
Enfin, dernière possibilité, l’augmentation des pressions de sélection auxquelles est soumis le virus. En effet, plus une population est immunisée contre le virus circulant (de façon naturelle ou par vaccination), plus un variant présentant un avantage compétitif (comme une transmission plus importante ou un échappement immunitaire) va pouvoir se répandre.
La zone la plus dangereuse se situe donc à un niveau intermédiaire d’immunisation d’une population: ce qui applique des pressions de sélection sur le virus, qui favorisent des mutations potentiellement plus dangereuses, mais ne contraint pas suffisamment sa circulation pour limiter l’émergence de nouveaux variants.
Il est important de noter que ces explications ne sont pas exclusives: chacun de ces trois mécanismes évolutifs peut contribuer, de façon plus ou moins importante, à l’émergence de chacun des variants.
Ce que cela veut dire pour la pandémie
en cours
Il est fort probable que de nouveaux variants soient identifiés dans les prochains mois, et que l’un d’eux présentant un échappement immunitaire important se retrouve sur le devant de la scène. Certaines mutations (dans le domaine de liaison au récepteur, ou RBD, 484K, K417N et L452R) sont déjà suivies à cet égard. Mais il est très probable également que les vaccins continueront à conférer une protection contre les formes graves, même si leur efficacité contre l’infection pourra se retrouver diminuée. Ce qui est absolument évident, c’est que pour évoluer (et faire émerger des variants) un virus a besoin de se transmettre. En cela, les taux de vaccination extrêmement hétérogènes entre les différentes régions du monde lui laissent un espace important. Des stratégies de vaccination originales, adaptées aux situations hétérogènes des pays aux ressources limitées ou instables, doivent être conçues.
Il est plus que temps de comprendre que cette pandémie se joue à un niveau planétaire, et que le virus ne rencontrera jamais de frontières suffisamment imperméables.o
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation