Page 10 - L'Economiste développement durable numéro 2
P. 10
VIII
La grande hydraulique
est menacée par les changements climatiques
n Conçue dès les années
soixante, elle est aujourd’hui
dépassée
n La raréfaction de l’eau oblige
à une remise à plat
RESTE-t-il encore de l’eau pour
l’agriculture dans les retenues des
barrages ? La sécheresse qui a cours
depuis 2020 met les réserves d’eau
à très rude épreuve. Elles ont atteint
un étiage historiquement bas qui fait
craindre pour l’approvisionnement d
en eau potable des grandes agglomé-
rations du Maroc, où les restrictions
menacent. Autant dire que pour l’agri-
culture, qui est une priorité d’ordre in-
férieur à celle de l’approvisionnement
en eau potable, la situation est critique.
C’est tout le modèle mis en place
dans les années soixante au sortir de
l’indépendance qui est aujourd’hui
ébranlé par la sécheresse et le chan-
gement climatique. La politique des
grands barrages voulue par feu le
Roi Hassan II, et dans son sillage
« la grande hydraulique », était un
modèle en apparence très vertueux. Le million d’hectares qui était l’objectif des gouvernements successifs semble un horizon aujourd’hui inatteignable au
De grands barrages ont été construits milieu d’une séchersse historique qui fait craquer tous les paradigmes mis en place depuis soixante ans (Ph. L’Economiste)
pour retenir l’eau de pluie « avant
qu’elle ne file vers la mer » comme fragmentation des propriétés ; surtout, pour des systèmes d’aspersion leur
on disait alors, et sous les barrages, pour faire fonctionner le système en regard des ressources pluviales. Dans avaient été fournis. La greffe n’a glo-
de grands périmètres irrigués ont été achetant l’eau subventionnée. Les la plaine des Chtouka du Souss, au
créés, le plus souvent ex nihilo sur agriculteurs avaient l’interdiction for- sud d’Agadir, on a ainsi dessiné dans balement pas pris, faute d’eau suf-
des terres qui ne servaient autrefois melle de forer des puits sur les terres les années soixante-dix un périmètre fisante. La plupart des agriculteurs
qu’à une céréaliculture extensive où des périmètres irrigués. de 18.000 ha sur des terres pauvres, ont abandonné leurs terres et revendu
comme parcours d’élevage. Le dispositif, remarquable travail les sols étant sablonneux et les préci- leur matériel. Le Souss Massa est
En apportant de l’eau sur des pitations faibles. L’eau est venue du devenu dans les années quatre-vingt
centaines de milliers d’hectares, le d’ingénieur sur le papier, n’a pas ré- barrage Sidi Youssef par un canal de le haut-lieu de la culture maraîchère
sisté à la pratique. Les superficies des
Maroc a pu développer des plans périmètres dominés par les barrages 44 km de long et mise sous pression. sous serre. Les agriculteurs qui se
ambitieux comme ceux de l’industrie ont probablement été surestimées au Les agriculteurs devaient y cultiver sont installés pour cette activité ont
sucrière ou laitière, assurant l’indé- de grandes cultures ou des fourrages foré des puits comme ils l’auraient
pendance alimentaire du pays sur ce fait en dehors de la zone irriguée. Ce
secteur, ou des cultures d’exportation périmètre est resté presque virtuel et
comme les agrumes. son extraordinaire développement
Pour les agriculteurs, la propo- ne doit rien à la grande hydraulique.
sition qui leur était faite était parti- Les puits ont surexploité une nappe
culièrement intéressante : l’eau et le qui aujourd’hui est exsangue et les
matériel d’irrigation leur étaient four- agriculteurs, pour sauvegarder un
nis à un prix largement subventionné. écosystème performant, ont reçu une
En contrepartie, quelques contraintes dotation de la nouvelle station de
leur étaient adressées: s’engager sur dessalement d’eau de mer d’Agadir
des assolements pour assurer les ap- à une trentaine de kilomètres.
provisionnements des usines de sucre Cette dérive du périmètre du
ou de lait, garder une superficie mini- Souss-Massa était prémonitoire.
mum de cinq hectares pour éviter la
(Voir suite en page X)
Février-Mars 2023