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Ces écrans qui retardent le coucher des enfants et adolescents

Par Ella LOUIS | Edition N°:6670 Le 27/12/2023 | Partager

Ella Louis, doctorante au Laboratoire Interuniversitaire de psychologie, Université Savoie Mont Blanc

«Je me connecte à YouTube et, même si je ne les regarde pas, je laisse les vidéos défiler en fond, et je reste comme ça, et j’attends. Je peux pas me coucher sans avoir écouté un youtubeur ou une série, ou quelque chose comme ça», nous dit un adolescent de 16 ans, pour qui les écrans agissent comme un bruit de fond pour accompagner l’endormissement. Selon une étude de 2018, il serait loin d’être le seul à agir ainsi: l’utilisation des écrans en soirée, au coucher (et parfois même pendant la nuit) est fréquente chez les jeunes, ce qui a des effets sur leur sommeil. Lors du passage entre l’enfance et l’adolescence, il existe des modifications du sommeil qui peuvent s’expliquer par des raisons biologiques mais aussi par des raisons environnementales. En effet, les habitudes en soirée évoluent: devenant plus indépendants de leurs parents, les adolescents adoptent de nouvelles routines, entre devoirs et écrans, qui peuvent retarder l’heure du coucher.

En 2001, des auteurs observaient déjà des couchers d’1h à 3h plus tardifs à l’adolescence qu’à la pré-adolescence, associés à une difficulté à se lever tôt le matin. D’après une étude de 2012, de nombreux adolescents se couchent tard en semaine puis se lèvent tôt pour l’école, de fait, ils accumulent une dette de sommeil qu’ils vont essayer de rattraper le week-end avec des temps de sommeil plus longs.

Veillées familiales

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Dans une étude menée auprès de 31 familles et leurs enfants de 8 à 19 ans, financée par la fondation VINCI Autoroutes, nous avons constaté une moyenne de 7h49 de sommeil chez les enfants de 8 à 11 ans, alors que l’American Academy of Sleep Medicine recommande 9h à 12h pour cette tranche d’âge. Et nous avons constaté une moyenne de 7h08 de sommeil pour les plus grands (14-19 ans), bien que l’AASM recommande 8h à 10h de sommeil pour ce public. 43% des adolescents de 12 à 18 ans dorment moins de 7h en semaine.

Les habitudes en soirée évoluent également: parmi les plus jeunes, il y a davantage de moments partagés en famille, notamment autour de la télévision, ou bien des temps de jeux ou de lecture. Avec le temps, les activités ont tendance à devenir de plus en plus individuelles et se centrent davantage autour des écrans. Une mère décrit bien ce changement qu’elle constate chez son adolescente: «On est un garde-manger, c’est-à-dire qu’elle vit au self, elle mange, elle part se coucher, faire sa toilette, etc., mais elle ne s’endort pas beaucoup plus tôt que les autres, elle est dans son lit et regarde ses réseaux sociaux, des séries, YouTube… Les programmes que nous regardons nous ne l’intéressent pas.»

Au fil des années, les jeunes vont davantage investir leur chambre et leur téléphone et les moments partagés en famille en soirée, s’il en reste, seront présents principalement le week-end et généralement autour d’un film. Certains sont toutefois demandeurs de ces temps en semaine afin de pouvoir veiller davantage: «en fait, si on ne regarde pas de film ou qu’on ne fait pas de jeux de société en famille, ils vont nous dire d’aller nous coucher», reconnaît un des participants. La télévision serait alors un médiateur permettant le partage d’un moment en famille et en parallèle, un coucher plus tardif.

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Risques de «technoference»

Pensons à ces scènes, observées dans la rue, les parcs ou les salles d’attente des médecins. D’un côté, un bébé fixe son père depuis sa poussette, un enfant interpelle sa mère pour lui montrer ses progrès en dessin ou à vélo. De l’autre, le parent en question garde les yeux rivés sur son smartphone. Ces interruptions des échanges liées aux usages numériques ont été nommées technoference par Brandon McDaniel – terme associant «technologie» et «interférence». Initialement appliqué aux relations de couple, ce concept est aujourd’hui étudié au sein des familles afin d’observer l’impact des technologies de l’information sur les interactions entre parents et enfants. A la City University of New York – Hunter College, Myruski et ses collègues ont mené une recherche pour observer les effets de l’utilisation du téléphone portable par le parent lorsque celui-ci interagit avec son bébé. Ils ont noté que les jeunes enfants présentaient moins d’affects positifs et plus d’affects négatifs lorsque les mères arrêtent d’échanger avec eux pour consulter leur téléphone. Les effets de la technoference s’observent aussi chez des enfants un peu plus âgés: en dessous de 5 ans, ils vont manifester plus de comportements difficiles. Chez les adolescents, on retrouve des résultats similaires: l’interférence des technologies dans les relations est liée à des niveaux d’anxiété et de dépression un peu plus élevés.

                                                        

Réseaux sociaux

Lorsque les enfants deviennent adolescents, de nouvelles tensions et opportunités liées aux TIC peuvent émerger. L’agacement peut se manifester aussi bien chez les parents que les adolescents, chacun trouvant que l’autre y a trop recours. Cela dépendra de la qualité des liens, mais aussi des représentations que les parents ont des technologies numériques, qui guideront leur style de médiation parentale. La possibilité d’être en contact facilement grâce aux outils numériques peut rassurer parents et adolescent et participer ainsi au processus d’autonomisation, caractéristique de cet âge. Les parents peuvent aussi utiliser ces technologies pour maintenir une certaine proximité avec leur adolescent. En effet, à mesure que l’enfant grandit, les communications par ce biais tendent à augmenter.

Les parents ayant une bonne image des technologies numériques utiliseraient même les réseaux sociaux pour communiquer avec les amis de leur adolescent. Cependant, cela dépend de la relation préexistante entre parents et enfants, c’est-à-dire hors contexte numérique. En effet, une demande d’«amis» envoyée par les parents à leur adolescent peut, par exemple, être perçue par ce dernier comme une intrusion. Les technologies nous amènent à repenser les liens entre individus, et plus particulièrement au sein de la famille. Avoir un usage conscient, une bonne qualité d’écoute et de communication entre parent et enfant, pourrait permettre de voir l’usage des écrans comme un accès facilité entre générations plus que comme une entrave aux relations.

                                                        

La télévision en bruit de fond

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Peu importe l’âge, les écrans sont présents en soirée chez la plupart des participants, mais pour les plus jeunes c’est presque exclusivement en famille, autour de la télévision et plutôt le week-end. Parmi les plus âgés, l’usage est plus individuel, principalement centré autour de la console ou du téléphone, et tant la semaine que le week-end. De nouvelles activités telles que l’usage du téléphone, les devoirs, les révisions, ou un travail se substituent alors aux moments en famille, à la lecture ou aux jeux que peuvent adopter les plus jeunes. Ainsi, la télévision semble être encore investie au fil des années, mais davantage pour l’usage de jeux vidéos ou le visionnage d’un film. Certains parents rappellent que la programmation à la télévision est plus tardive qu’à leur époque, et, de fait, ne constitue plus un repère pour l’heure du coucher en semaine.

Hormis les écrans, la majorité des jeunes pratique un loisir, sport ou activité culturelle, au moins un soir par semaine, ce qui peut d’ailleurs modifier les habitudes en soirée (repas, temps d’écrans, temps en famille, heure de coucher). Contrairement à ce que l’on peut penser, certains utilisent les écrans par ennui ou solitude, et il semblerait alors que la télévision peut servir dans ces moments de «bruit de fond» pour pallier au vide, comme le raconte Imane, 11 ans: «Ça arrive que je sois toute seule les mercredis et lundi matin parce que maman et mon frère commencent tôt […]. J’allume la télé pour avoir du son. Je joue un peu à mon téléphone ou soit j’ai eu un autre jeu pour mon anniversaire ou je fais des bracelets.»

Ainsi, la télévision semble souvent être utilisée soit comme un objet transitionnel (vers le sommeil par exemple), soit pour combler un vide, ou bien pour permettre de veiller plus tardivement en famille, plutôt que par un réel intérêt pour les programmes proposés. Dans la plupart des pays, les enfants d’aujourd’hui sont immergés dans un monde numérique. Selon l’Insee, 87% des familles avaient un accès à Internet en 2018 et 82% des familles possédaient au moins un appareil numérique permettant un accès en ligne. Au fil des âges, les supports utilisés évoluent et le temps passé devant tel ou tel type d’écran varie. Les jeunes enfants ont encore un usage majoritaire de la télévision (87% des enfants de 2 ans la regardent, dont 68% tous les jours). Les 6-10 ans sont 50% à passer trois heures ou plus par jour devant un écran, tandis que les 12-17 ans sont 86% à posséder un smartphone et 70 à 87% à passer 3 heures ou plus devant un écran. Quant aux adultes, environ 80% d’entre eux passent 3 heures ou plus par jour devant un écran, hors temps dédié au travail. Ces usages nuisent-ils à des échanges de qualité entre parents et enfants? Ou, au contraire, peuvent-ils constituer un nouveau mode de relation?

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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