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Les insectes seront-ils réellement la nourriture du futur?

Par Tom BRY-CHEVALIER | Edition N°:6286 Le 20/06/2022 | Partager

Tom Bry-Chevalier est doctorant en économie de l’environnement - viande cultivée et protéines alternatives à l’université de Lorraine

Lorsque l’on parle de nour­riture du futur, un sujet essaime régulièrement dans les médias: celui de la consommation d’in­sectes. «Alimentation du futur: des insectes dans nos assiettes»; «Et si les insectes étaient la nourriture du futur?»; «Pourquoi nous mangerons tous des insectes en 2050»; autant de titres suggérant que «postérité» rime avec «criquets».

Hors d’Occident, l’entomopha­gie (c’est-à-dire la consommation d’insectes par l’être humain) n’a pourtant rien de futuriste: près de 2 milliards de personnes consomment régulièrement plus de 2.000 espèces d’insectes différentes.

Mais si dans nos contrées nous songeons de plus en plus à croquer ces bestioles, ce n’est pas tant par recherche de nouvelles sensations gustatives que pour l’intérêt que nous leur prêtons sur le plan environne­mental.

D’après un rapport de la FAO de 2013 -non étranger au fourmillement récent autour de l’entomophagie- les insectes seraient extraordinaire­ment efficaces pour transformer les aliments en masse corporelle. De surcroît, ils pourraient se nourrir de sous-produits non valorisés par nos systèmes alimentaires, et leur éle­vage n’émettrait que de faibles quan­tités de gaz à effet de serre.

Autant de promesses alléchantes pour répondre aux problèmes envi­ronnementaux bien réels causés par la production de viande.

Pourtant, malgré l’engouement médiatique, les études scienti­fiques s’intéressant au potentiel de la consommation d’insectes sur le plan environnemental restent miti­gées dans leurs conclusions. Il est donc temps de donner un coup de pied dans la fourmilière et de voir pourquoi, malgré ce qu’on entend, les insectes ne seront peut-être pas la nourriture du futur.

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Dans les pays traditionnellement consommateurs d’insectes (ici en Thaïlande), les insectes sont généralement prélevés directement dans la nature, ou proviennent de petits élevages (Ph. AFP)

Remplacer la viande… ou plutôt la nourrir!

Les insectes sont souvent présen­tés comme une solution à six pattes pour remplacer la viande. Pourtant, ce n’est pas la toile que tisse l’indus­trie.

Ainsi, les entreprises françaises Ÿnsect et InnovaFeed (ayant respec­tivement levé 372 et 165 millions de dollars en 2020, plus que l’ensemble du secteur au cours de toutes les années précédentes réunies) élèvent des insectes pour… l’alimentation animale. Et ces deux exemples ne sont pas isolés. L’élevage d’insectes ne semble donc pas parti pour rem­placer l’élevage intensif, mais plutôt pour lui fournir de quoi subsister.

Sans même évoquer la question des enjeux éthiques et sanitaires liés à l’élevage de viande classique, il est important de souligner que cette ap­proche pose potentiellement plus de problèmes qu’elle n’en résout.

D’une part, car les impacts envi­ronnementaux de la viande ne se limitent pas à celui de l’alimentation animale. D’autre part, car la produc­tion d’insectes n’est pas forcément plus favorable pour l’environnement que l’alimentation animale classique.

Selon une analyse cycle de vie de 2020 (c’est-à-dire une méthode d’évaluation permettant de réaliser un bilan environnemental multicri­tère et multiétape d’un système): «une comparaison avec les aliments conventionnels a mis en évidence les inconvénients environnementaux des modèles actuels de production d’ali­ments à base d’insectes (en particu­lier par rapport aux aliments à base de plantes)».

Même constat pour cette étude sur Hermetica illucens, l’espèce utilisée par l’entreprise française Innovafeed: «produit à l’échelle pilote, le concen­tré de protéines (farine d’insecte), tout en étant compétitif par rapport aux produits d’origine animale (lac­tosérum, protéines d’oeuf, farine de poisson) et aux microalgues, a un impact environnemental plus impor­tant que les concentrés d’origine végétale».

Une autre étude sur les vers de farine, la marotte de l’entreprise Ÿnsect, leur trouve également un im­pact environnemental plus important que les farines de soja ou de poisson.

En résumé, si l’utilisation de farines d’insectes peut parfois être plus écologique que les concentrés d’origine animale pour nourrir les animaux d’élevages, elle ne parvient cependant pas à rivaliser avec les concentrés d’origine végétale.

Par ailleurs, si les promoteurs des insectes vantent l’utilisation de sous-produits issus de l’agriculture (gluten de blé et de maïs, drêches de brasse­rie, pulpe de betterave, etc.) pour les nourrir, on s’aperçoit que dans la réa­lité beaucoup d’entreprises préfèrent utiliser des céréales, plus nutritives, plus sûres, et parfois même moins chères. C’est-à-dire des ressources qui pourraient tout aussi bien être consommées par les animaux d’éle­vage, voire par les humains. Or, nour­rir des insectes avec du maïs avant de les donner à des poulets est intrinsè­quement moins efficace que de sim­plement donner du maïs aux poulets ou aux humains.

Le potentiel des insectes à se nourrir de sous-produits agricoles se heurte ainsi aux lois du marché et à la concurrence pour une même res­source. Car les sous-produits agri­coles, loin d’être des déchets, peuvent être utilisés de bien des manières, que ce soit pour l’alimentation animale ou pour l’alimentation humaine.

L’entomophagie, une solution loin d’être miraculeuse

Plus encore, même si des déchets alimentaires étaient utilisés pour nourrir les insectes d’élevage, les bénéfices pour le climat seraient très incertains.

Enfin, les insectes ont besoin d’être élevés dans un environnement où il fait chaud. Dans le cas contraire, ils risquent de grandir bien plus len­tement, voire tout simplement de ne pas survivre. Or, chauffer des millions d’insectes en usine nécessite beau­coup d’énergie. Cette dernière n’étant pas forcément décarbonée, cela peut avoir une influence décisive sur l’em­preinte carbone du produit final.

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Actuellement, près de 2 milliards de personnes consomment régulièrement plus de 2.000 espèces d’insectes différentes (Ph. AFP)

En bref, et bien que cela soit ac­tuellement le chemin emprunté par l’industrie, le potentiel environne­mental des insectes comme ingré­dient miracle pour l’alimentation ani­male semble limité. Mais qu’en est-il de l’entomophagie proprement dite? Car il s’agit bien de ce bourdonne­ment dont il est question dans les mé­dias, les oeuvres de fiction, et même certains manuels scolaires.

À première vue, il y aurait de quoi être rassuré. Plusieurs études s’ac­cordent en effet sur l’impact environ­nemental inférieur des insectes face au poulet, qui a lui-même un impact environnemental plus faible que les autres types de viande.

Une analyse cycle de vie datant de 2012 trouve ainsi que les poulets de chair sont associés à des émis­sions 32 % à 167 % plus élevées en équivalent CO2 que les vers de farine, et qu’ils nécessiteraient deux à trois fois plus de terres et 50 % plus d’eau.

Là où le bât blesse, c’est que ces études ont quasiment toutes été réali­sées sur des élevages à petite échelle (comme en Thaïlande ou en Corée, dans des conditions optimales ou im­possibles à reproduire en Occident à grande échelle).

Or il peut être très difficile de conserver ces bénéfices environne­mentaux avec le passage à l’échelle industrielle, pourtant nécessaire pour réduire les coûts. De nombreuses in­terrogations demeurent, par exemple concernant la nourriture utilisée pour nourrir un large élevage d’insectes, et les risques sanitaires possibles.

C’est ainsi qu’une étude s’intéres­sant au contexte européen arrive à la conclusion que l’élevage d’insectes n’émet pas nécessairement moins d’émissions de gaz à effet de serre que le poulet.

                                                                  

Une alternative qui souffre de la concurrence

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Les insectes ne sont pas les seuls à pouvoir remplacer la viande. Il y a notamment les protéines végétales, déjà largement disponibles sur le marché comme les lentilles ou encore le soja

Si la performance reste hono­rable, il ne faut pas oublier un dé­tail essentiel : les insectes ne sont pas les seuls à pouvoir remplacer la viande. Or, pour juger du poten­tiel d’une solution, il convient de la comparer à l’ensemble des autres alternatives, et pas uniquement à celle qui nous arrange.

On pense notamment aux pro­téines végétales, déjà largement disponibles sur le marché. Et sur le plan environnemental, il n’y a pas photo: il vaut mieux manger des lentilles et du soja plutôt que des insectes.

Pour qu’une alternative ait du potentiel, il faut également qu’elle rencontre un succès auprès des consommateurs. Et sur ce point on ne peut pas dire que les insectes fassent mouche. À titre d’exemple, une récente étude de la Food Stan­dards Agency trouve que six per­sonnes interrogées sur dix (60%) sont prêtes à essayer des protéines végétales, contre seulement un quart (26%) prêtes à essayer des insectes comestibles.

Pire encore, parmi les personnes ne voulant essayer aucune des al­ternatives à la viande proposées, 67% ont déclaré que rien ne pour­rait les inciter à essayer de manger des insectes.

Bref, non seulement les insectes ne constituent pas une meilleure al­ternative que les protéines végétales sur le plan environnemental, mais en plus ils sont bien moins accep­tés par les consommateurs. Pour le titre de «nourriture du futur», il serait donc peut-être sage de laisser nos amis à six pattes tranquilles et de plutôt regarder du côté des pro­téines végétales, et pourquoi pas des mycoprotéines ou de la viande cultivée.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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