
Si les attentes restent fortes sur le développement humain, elles n’interdisent pas de souligner que la société marocaine était plus inégalitaire aux pires moments du PAS qu’elle ne l’a été au cours de ces vingt dernières années! Mais peut-être que ce genre de rappel est largement inaudible dans une conjoncture qui semble plutôt céder à des penchants morbides.
L’Agenda marocain pour le développement humain de ces 20 dernières années ne pouvait pas ne pas tenter de se renouveler sur un vaste sujet aux contours polysémiques. Depuis les années 90, les grilles d’analyse se sont détachées de la vision, longtemps dominante, du consensus de Washington. Laquelle a associé le développement à des déterminants exclusivement macroéconomiques ou aux vertus de la libéralisation.
Entretemps la facture sociale ainsi que de nombreuses crises sont passées par là appelant à réintroduire d’autres critères (sans pour autant que les difficultés à arrêter une approche consensuelle ne cessent pour autant, voir encadré). Elles font évoluer les conceptions politiques et intellectuelles et invitent à prendre en compte les spécificités régionales dans les stratégies de développement, ou du moins à tenter de nouvelles ingénieries. Ce que fait le Maroc, avec le lancement de l’INDH en 2005, l’idée étant d’installer une dynamique en faveur du capital humain au-delà de frontières limitées jusque-là à des considérations de revenus(1).
L’initiative, qui prend en compte l’articulation entre trois types d’interventions: social, économique, équipements sociaux de base, se veut ambitieuse tant par son montage (forte dimension participative) que par l’engagement financier important aussi: 46 milliards de DH entre les trois phases (2006-2010, 2011-2015 et 2019-2023). Dès le départ les entreprises sont associées au projet.

Si le Maroc a gagné trois places entre 2012 et 2017, le classement IDH (indice de développement humain) est catastrophique. Dans la région Mena, seuls la Syrie et le Yémen font pire. Deux pays en guerre…
Dans cette construction, le rôle de l’Etat ne disparaît pas des enjeux du développement mais voit son rôle repensé dans une meilleure articulation avec la société civile et le marché, appelés à s’engager un peu plus sur le capital humain. D’ailleurs l’année du lancement de l’INDH, le Roi va dans un discours prononcé aux intégrales de l’investissement donner le signal à la consécration institutionnelle de la RSE (Responsabilité sociale des entreprises), avant que celle-ci ne devienne le grand sujet à la mode de la décennie qui allait suivre.
«La responsabilité sociale des investisseurs a pour pendant et pour condition la responsabilité sociale des entreprises.A cet égard, nous suivons avec intérêt et satisfaction l’action des entreprises marocaines qui se sont volontairement engagées dans cette voie»(2).
L’un des points forts de l’INDH résidera dans la plus grande participation des communes à la maîtrise d’ouvrage. Même si une partie de la doxa des politologues finit par exprimer des réserves notamment par rapport à la nouvelle concurrence que viennent apporter les ONG vis-à-vis de la classe politique.
«Le dynamisme des militants associatifs dans la réalisation des équipements de base (eau potable, transport scolaire, cantines, alphabétisation…) contraste avec l’inefficacité, voire l’invisibilité, des élus locaux» (Tozy, 2011)(3).
Des victoires contre la pauvreté sont pourtant perceptibles au bout de quelques années. Le HCP constate un recul des inégalités (mesurées par le coefficient de Gini) ainsi qu’une baisse du taux de pauvreté des communes rurales ciblées par l’INDH qui se replie fortement entre 2004 et 2014: 51,4% contre 21,4%.
«Au total, la pauvreté multidimensionnelle a été réduite, en termes de variation absolue, de 30 points de pourcentage dans les communes rurales cibles de l’INDH contre 25,2 points dans les communes rurales non cibles» (HCP, 2017)(4).
Là où l’INDH pèche en revanche, c’est dans ses résultats inégaux. D’abord iniquité au niveau des infrastructures avec 25% des ménages des campagnes qui n’ont pas accès à une route et se trouvent à 10 km d’un centre de santé de base. Ensuite des déficits en matière de couverture sociale alors même que le Maroc a déjà fait exploser sa facture: 5% de son PIB est consommée en dépenses sociales (santé, retraite).
En dépit de l’introduction de l’assurance maladie obligatoire au début des années 2000, environ 53% des enfants de moins de 15 ans n’ont pas de couverture médicale de base et ne relève ni du système AMO ni du Ramed. Comment ne pas s’inquiéter de l’inefficacité des politiques de santé alors même que leurs vertus pour le développement sont établies (voir encadré).
De même, la question du décrochage scolaire, impacté par la précarité, reste cruciale avec 1% d’enfants qui sont toujours privés d’école primaire et 12,4% de collège. Un risque qui a concerné 280.000 enfants en 2017(5). C’est surtout le volet social des interventions INDH (éducation, santé, formation), pourtant à forte incidence en termes de développement humain, qui est le moins bien négocié.
Le déficit de résultats se nourrit dans la foulée d’un manque de coordination entre les différents intervenants. Ce qui a conduit les partenaires institutionnels du Maroc à plaider pour le déploiement d’un système de ciblage comme pour le registre unique avec l’espoir d’une meilleure optimisation des ressources et d’une réduction de l’exclusion.
Des contreperformances qui expliqueront en grande partie le modeste 123e rang au classement IDH du PNUD, lequel fera l’effet d’une douche froide et justifiera le recadrage de la phase III du programme(6).La réorientation va consister notamment à améliorer les systèmes d’informations et à abandonner l’approche par le ciblage géographique pour le remplacer par un ciblage social qui permet de concentrer les efforts sur les populations vulnérables.
La nutrition? Plus efficace que l’infrastructure
DES recherches récentes en économie du développement montrent qu’un traitement de retard de croissance chez l’enfant, peut dégager des retombées importantes. Dans leur évaluation économétrique publiée dans la revue Economics & Human Biology(7), Galasso et Wagstaff estiment qu’un programme de nutrition destiné aux enfants de moins de cinq ans pourrait entraîner une réduction de 20% du retard de croissance chez les enfants, pour un coût moyen de 3,85 dollars par habitant. L’impact économique qui en résulterait est alors considérable: celui du taux de rendement d’investissement consécutif à l’augmentation de la productivité future des travailleurs. Les deux chercheurs l’estiment à 17%. Un chiffre comparable aux rendements élevés généralement obtenus avec les investissements d’infrastructure!
D’indice en indice
L’INTRODUCTION de l’IDH a été l’une des premières tentatives pour remédier aux lacunes des mesures conventionnelles du bien-être mais souvent sans orientations définitives. Ce que confirmeront les nombreux réajustements du calcul de l’IDH (indice de développement humain) depuis le lancement de la variante originelle de l’indice par Amaryta Sen. En 1995, le PNUD introduit un indice dérivé de l’IDH, le GDI (Gender-related Development Index), qui prend en compte les disparités liées au genre, puis en 2010, un indice de développement humain ajusté selon les inégalités (IDHI) (note de bas de page). En 2018, la banque mondiale met en place un indice du capital humain qui permet de mesurer l’effet de la santé et de l’éducation sur la productivité des travailleurs.
M.B
----------------------------------------------
(1) Ce qui ne fait pas pour autant disparaître l’importance de l’effet de revenu. Par exemple, un enfant né dans un pays à revenu élevé de l’OCDE peut espérer vivre au moins 80 ans!
(2) Extraits du discours royal, troisième édition des Intégrales de l’Investissement, 2005.
(3) Tozy, M. (2011). La société civile entre transition démocratique et consolidation autoritaire: le cas du Maroc. Bozzo A. &Luizard P.-J., Les sociétés civiles dans le monde musulman. Paris, La Découverte, 249-270.
(4) Principaux résultats de la cartographie de la pauvreté multidimensionnelle 2014, Paysage territorial et dynamique, HCP, 2017.
(5) Chiffres Unicef, 1ères Assises Nationales de la Protection Sociale, Skhirat 12-13 novembre 2018.
(6) Benabid (Mohamed) : L’INDH met à niveau son logiciel, L’Economiste, 15 novembre 2018
(7) Galasso, E., &Wagstaff, A. (2019). The aggregate income losses from childhood stunting and the returns to a nutrition intervention aimed at reducing stunting. Economics & Human Biology.
Chère lectrice, cher lecteur,
L'article auquel vous tentez d'accéder est réservé à la communauté des grands lecteurs de L'Economiste. Nous vous invitons à vous connecter à l'aide de vos identifiants pour le consulter.
Si vous n'avez pas encore de compte, vous pouvez souscrire à L'Abonnement afin d'accéder à l'intégralité de notre contenu et de profiter de nombreux autres avantages.